Drôle d’encyclopédie  d’Adrienne Barman

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Un titre pour le moins inattendu, qui met en tension deux termes rarement juxtaposés : entrons dans l’univers d’Adrienne Barman.

En cherchant dans le dictionnaire, voici ce que je trouve :

  • « Encyclopédie » : Ouvrage qui fait le tour des connaissances dans tous les domaines, par articles rangés dans un ordre alphabétique.
  • « Drôle » : I. Comique IIBizarre (d’après le « Petit Robert »)

A priori, ces deux termes sont inconciliables. Est-ce qu’une encyclopédie peut-être amusante, voire étrange ? Or, c’est justement le pari qu’a relevé l’auteure et qu’elle nous invite à explorer.

Adrienne Barman est à l’affût de tous les animaux qui vivent sur cette planète et dont on ne connaît pas forcément l’existence. Elle nous promène depuis les animaux Architectes aux animaux Voyageurs, au travers de quelque 600 espèces répertoriées.

Les choix esthétiques

Le projet est aussi ambitieux qu’original puisque l’illustratrice classe les animaux dans des catégories personnelles. On y trouve ainsi plus de quarante familles d’animaux issues de son imaginaire. Ce n’est certes pas le système de classification des zoologistes, mais est-il moins pertinent pour autant ? Par exemple, sous la lettre B se trouvent Les blanc neige et Les bruyants ; sous F roucoulent Les fidèles et plus loin, sous S, se promènent Les solitaires. Il y a aussi Les grandes oreilles ou Les longs cous. Les animaux sont donc classés d’après leur couleur, leur taille, leur comportement, leur habitat ou d’autres caractéristiques.

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                A. Barman (2013), Drôle d'encyclopédie, Genève : La Joie de lire © 

Si l’encyclopédie se caractérise par son côté décalé, l’auteure ne dit pourtant pas de « drôlerie ». Derrière cette catégorisation loufoque se cache un bestiaire très sérieux : Adrienne Barman a passé trois ans à se documenter scientifiquement et à dessiner les bêtes sélectionnées de la manière la plus fidèle. Reste que dans « Drôle d’encyclopédie », l’humour est omniprésent. Selon Pascal Vandenberghe, l’humour jaillit à chaque chapitre, se sert du dessin, des mots, des jeux de langue et de sens. L’oxymore du titre se retrouve au fil des pages, le « drôle » nourrissant « l’encyclopédique » et tous deux se côtoyant de manière harmonieuse et subversive (extrait de son discours lors de la remise du prix ISJM 2015 à Berne). On y trouve ainsi des « drôles d’oiseaux » comme le dahu ou le yéti ; des rapides qui vont drôlement vite, et des sauteurs qui bondissent si haut qu’ils sortent du cadre. La plupart des animaux ont des têtes drôles – sauf certains, qui font de drôles de tête. On se sent d’ailleurs tout drôle quand on découvre les animaux en voie de disparition, les larmes aux yeux.

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A. Barman (2013), Drôle d'encyclopédie, Genève : Editions  La Joie de lire © 

Le lectorat visé

« Drôle d’encyclopédie » s’adresse à de jeunes curieux et à des curieux moins jeunes : les plus jeunes le regarderont comme un album et seront fascinés par les images, les couleurs, le graphisme. Les plus âgés y verront un outil instructif : qui savait par exemple que le boa caoutchouc faisait en sorte que ses prédateurs confondent sa queue avec sa tête pour se protéger de leurs attaques ?

 Et l’école ?

Quant à sa présence à l’école, « Drôle d’encyclopédie » peut enrichir l’apprentissage du français, des arts mais aussi des mathématiques et des sciences naturelles.

Pour le français, l’ouvrage vient pimenter la découverte de la diversité des genres de texte (cf. plan d’études romand, PER). Les élèves voient ici une encyclopédie qui classe et qui catégorise de manière fantaisiste. De ce fait, le livre permet d’une façon passionnante de discuter les limites, les frontières de genres préétablies. Rappelons que dès que nous sommes en littérature, les genres sont à interroger. La littérature joue, les transforme, les détourne de leur fonction première. Ce travail permettrait ainsi de réfléchir aux différentes caractéristiques d’une encyclopédie et à l’apport de ce genre à notre société.

A travers ce livre, les élèves découvriront également un langage artistique pour représenter et exprimer une idée, un imaginaire, une émotion ; un objectif du PER travaillé dans les « Activités créatrices et manuelles ». Ils s’inspireront peut-être de la capacité hors du commun d’Adrienne Barman à illuminer ses sujets, à leur donner vie à travers une palette de couleurs vives et chatoyantes. Un trait net et précis qui a le pouvoir de rendre chaque personnage attrayant et expressif (d’après Pascal Vandenberghe, ibid.). L’ouvrage invite les enfants à feuilleter les pages, à comparer les dessins, à étudier les différentes expressions des animaux et – pourquoi pas – à s’essayer eux-mêmes au langage artistique.

On peut aussi imaginer l’usage de l’encyclopédie en « Mathématiques et Sciences de la nature ». Il existe des objectifs d’apprentissage dans le PER qui trouvent leur écho dans la « Drôle d’encyclopédie ». Les élèves doivent entre autre apprendre à trier et à organiser des informations, à choisir une unité (PER : conventionnelle ou non) ou encore être capables de classer des objets selon un certain critère (PER : formetaille, orientation…). Là encore, la « Drôle d’encyclopédie » livre un très bel exemple de comment trouver ses propres critères de classification – non conventionnels, certes – mais tout à fait plausibles et surtout très jouissifs.

Par Gwendoline Lovey, collaboratrice scientifique et chargée d’enseignement à la HEP FHNW, gwendoline.lovey@fhnw.ch

Chronique publiée le 15.02.2016