La littérature jeunesse est un monde riche et enchanteur, où les histoires prennent vie pour captiver l'imagination des plus jeunes lecteurs. Comme le soulignent Hébert et Lépine (2018), l’album serait « une forme d’art hybride, graphique et textuel, de matérialité particulière, caractérisée par l’interdépendance des images et du texte ». Susie la souris qui lit, écrit par Susie Morgenstern et paru aux éditions Gründ, est un exemple lumineux de cette magie littéraire. L'autrice, avec une touche de délicatesse et d'émotion, raconte l'histoire d'une petite souris esseulée à la recherche de son propre havre de paix, sa propre voix et, surtout, de l'amitié à travers la lecture.

L'histoire nous emmène dans le sous-sol d'une maison bruyante, où vit Susie, une souris bricoleuse et solitaire. Elle a fabriqué son lit minuscule, son fauteuil à bascule, sa table avec des pieds d’allumettes et sa chaise.

Dans cette maison, une famille nombreuse composée des parents, de cinq enfants et d’une grand-mère vit au quotidien avec du bruit, des disputes, des crises, des cris, mais aussi des chants, des comptines, des danses, de la bonne humeur ne laissant que peu de place pour la petite créature à la recherche de calme.

Mais un jour, la famille charge la voiture et s’en va, laissant Susie seule dans le sous-sol. C'est alors que Susie saisit l'opportunité de s'emparer de leur bibliothèque, et le véritable voyage commence.

La découverte des livres est un moment magique pour Susie. Elle explore les pages remplies d'aventures, de mystères, de découvertes, et grâce à cette évasion dans les histoires, elle construit sa propre bibliothèque. La lecture devient son refuge, un monde où elle peut trouver la paix et la sérénité qu'elle recherche. Ce monde imaginaire lui permet de faire la connaissance de nouveaux amis, des personnages fictifs des livres qu'elle lit, qui deviennent des compagnons fidèles dans sa vie solitaire.

Première et quatrième de couverture. Susie la sourit qui lit !, de Susie Morgenstern, illustré par Séverine Cordier © Editions Gründ, 2023

Un hymne à la lecture, qui résonne avec l’expérience personnelle de l’autrice, Susie Morgenstern

Susie la souris qui lit présenté dans « un format à l’italienne ou oblong, plus large que haut, permet une organisation horizontale des images, favorisant l’expression du mouvement et du temps » (Van der Linden, 2007). Cet album est avant tout un hymne à la lecture. Susie Morgenstern illustre brillamment comment la littérature peut transcender la solitude et nourrir l'âme. À travers les mots et les pages, la petite souris découvre non seulement des mondes nouveaux mais aussi une nouvelle façon de communiquer avec les autres. Les livres deviennent le moyen par lequel Susie surmonte son isolement et trouve une voix pour partager ses propres histoires. A la fin de l’album, « Susie part explorer la grande bibliothèque de la ville. Et là, elle s’émerveille bientôt devant plein d’autres livres et rencontre aussi… plein de nouveaux amis. » (Susie Morgenstern, 2023).

Ce conte touchant est profondément enraciné dans l'expérience personnelle de l'autrice, Susie Morgenstern. Elle a grandi dans une famille où le bruit dominait, où chacun avait toujours quelque chose d'important à dire, laissant peu de place à son propre espace [1]. Dans ce contexte, Susie s'est réfugiée dans l'écriture, comblant ainsi son besoin de s'exprimer. Écrire est devenu une forme de thérapie pour elle, un moyen de trouver sa propre voix et de partager ses pensées et émotions. L'amalgame entre le prénom de l'autrice et le nom de l'héroïne du livre est intrigant. Susie Morgenstern crée ainsi un lien profond entre son histoire personnelle et l'histoire de Susie la souris. Cet écho entre la vie de l'autrice et son œuvre ajoute une dimension supplémentaire à ce conte, le rendant encore plus sincère et touchant.

À travers l'écriture et la lecture, Susie la souris trouve la joie, l'émerveillement, la peur, et l'amusement. Elle découvre qu'avec les mots, elle peut meubler sa vie, rire et concocter des moments d'émotion. En d'autres termes, les mots lui offrent la possibilité de vivre une vie riche et passionnante, même dans les moments les plus ordinaires. « Elle commence sa tournée dans la cuisine pour grapiller quelques miettes. Mais ce qu’elle va pouvoir dévorer ce sont … les livres ! » Cette idée de considérer les mots comme de vrais compagnons de vie dépasse l'histoire de Susie la souris et se reflète dans la vie de Susie Morgenstern elle-même. Son histoire personnelle se mêle à celle de sa création, soulignant le fait que l'écriture a été pour elle bien plus qu'une simple activité, c'était une nécessité, un moyen de s'exprimer, de respirer, de vivre pleinement.

En fin de compte, Susie la souris qui lit est un trésor littéraire qui célèbre l'amour de la lecture, l'amitié, et la capacité de la littérature à offrir un refuge, même dans les moments les plus solitaires. Susie Morgenstern nous rappelle que, quelle que soit la solitude que nous puissions ressentir, il existe toujours un monde de mots prêts à nous accueillir, à nous réconforter, et à nous faire découvrir des amis dans les pages de livres. Ce livre est un véritable trésor pour les jeunes lecteurs et les adultes qui apprécient les histoires riches en émotion et en imagination.

Bateau, pp. 13-14. Susie la sourit qui lit !, de Susie Morgenstern, illustré par Séverine Cordier © Editions Gründ, 2023

L’articulation entre le texte et l’image

Mettre en mots la complémentarité de ces deux langages – le texte et l’image semble une évidence pour l’illustratrice et l’autrice qui ont excellé dans cette collaboration. Dès la première double page (Bateau, pp. 13-14), nous entrons dans l’univers de Susie et voyons à quel point sa solitude lui pèse. Il n’y a qu’une seule chaise, un fauteuil, elle n’a pas d’amis. En revanche, le dessin nous montre la maison toute douillette de Susie : le tapis en forme de cinq de trèfle, une brique de construction en plastique jaune posée au pied de son lit, une table réalisée avec un domino, un fauteuil à bascule. Elle aime aussi les fleurs, la cuisine, se balader, écrire.

Les illustrations de Susie la souris qui lit apportent une dimension visuelle à l'histoire qui la rend encore plus captivante pour les jeunes lecteurs. Chaque page est un véritable tableau, rempli de détails délicats qui enchantent l'œil, comme par exemple les pantoufles en forme de chat portées par la grand-mère ou encore le chat qui donne l’impression de dormir, mais en regardant attentivement, le·la lecteur·rice s’aperçoit qu’il a un œil ouvert et un œil fermé. Il est donc aux aguets ! Les couleurs choisies par l’illustratrice Séverine Cordier captent à merveille l’atmosphère chaleureuse et réconfortante de la chambre de Susie. Un vernis sélectif a été appliqué sur certaines parties de la première de couverture valorisant les livres et la souris : un livre de poésies, un livre de cuisine, un carnet de voyage et un immense livre bleu que Susie transporte dans sa chambre. Cette mise en évidence suggère à quel point « le livre » va jouer un rôle important dans la vie de Susie. Il ajoute à la fois une touche d'élégance à l'album, renforçant l'idée que l'univers de Susie est une bulle magique à explorer en invitant les lecteurs·rices à toucher et à interagir avec le livre. À ce propos, un élément rend cet album inédit, ce sont les petites portes découpées dans la première page (Petite porte, pp. 19-20) et à deux autres endroits – lorsque l’autrice parle de la famille bruyante et quand la petite souris transporte les livres dans sa chambre. Chaque petite porte nous invite à entrer littéralement dans la maison de la souris. C'est comme si les lecteurs·rices étaient convié·e·s à pénétrer dans le monde de Susie et à partager son intimité. Cette porte ouvre aussi un passage vers l’imaginaire, renforçant ainsi l'idée que les livres peuvent être une porte d'entrée vers des mondes fantastiques.

Petite porte, pp. 19-20. Susie la sourit qui lit !, de Susie Morgenstern, illustré par Séverine Cordier © Editions Gründ, 2023

Dans cet album captivant, l'image prend le devant de la scène, s'étalant le plus souvent, majestueusement sur l'ensemble des doubles pages. C'est une véritable immersion visuelle qui nous transporte au cœur de l'histoire. Le texte, quant à lui, se place avec délicatesse en haut ou en bas de la page, soulignant la mise en page « associative » (Van den Linden, 2007) choisie par l'autrice. L'originalité de cet ouvrage réside dans le fait que le texte s'inscrit souvent dans des espaces « désémantisés », ces zones de la page où l'on ne trouve pas de représentations figuratives porteuses de sens, comme le suggère Van der Linden (2007). Cela crée un contraste saisissant, mettant en relief l'importance de l'image dans la narration. Les lecteur·rice·s sont ainsi invité·e·s à explorer davantage, à déchiffrer les liens entre le texte et l'image.

Au niveau du texte, cet album est sans doute aussi destiné à être lu à voix haute à des enfants non-lecteur·rice·s. En effet, les textes sont brefs et distribués sur la page en quelques courts passages appelés unités de sens. (Ibid, p. 49). En prenant appui sur l’oralisation d’albums, certain·e·s auteur·rice·s essaient de retrouver le rythme et la poésie des comptines et c’est un peu ce qui se produit dans cet ouvrage ; le texte peut devenir chantant et mélodieux pour captiver l'attention des jeunes lecteurs. Cette caractéristique s’observe dans la façon dont le texte est parfois écrit : comme une vague, berçant les lecteurs·rices avec une prose douce et lyrique et les enveloppant dans une mélodie de mots veloutée sous forme de comptine - une souris verte qui courait dans l’herbe…. . Cette écriture poétique nous transporte dans l'univers de Susie, nous permettant de ressentir ses émotions et son évolution tout au long de l'histoire. C'est comme si les mots eux-mêmes nous berçaient dans cette aventure, renforçant ainsi l'aspect apaisant et réconfortant de la lecture. De plus, le proverbe écrit en caractères gras : « quand le chat s’en va, les souris dansent … » remplacé un peu plus loin dans le texte par, « quand le chat s’en va les souris lisent…» montre à quel point la fête du livre sera dignement célébrée.

L'ouvrage Susie la souris qui lit nous offre une perspective profonde sur le pouvoir de l'écriture et des mots. De plus, Susie Morgenstern partage avec les lecteurs une idée magnifique qu’elle défend parfaitement : "écrire, c'est respirer." Cette simple phrase résume le rôle vital que l'écriture joue dans la vie de l'autrice, et dans celle de la petite souris Susie. Pour Susie, les mots sont bien plus que des lettres imprimées sur des pages. Ils sont une source de réconfort et d'inspiration. « Comme elle aime meubler sa vie de mots ! » Ils sont les outils qu'elle utilise pour construire son monde à elle, un monde où elle peut apprendre, s'enrichir et développer sa créativité. Avec eux, elle découvre de nouvelles perspectives, explore des horizons inconnus et vit des aventures extraordinaires. Ils sont son moyen d'expression, sa voix dans un monde où elle se sentait initialement silencieuse.

Des pistes didactiques pour l’enseignement

Cet album peut être analysé avec les six attraits du livre proposés par Montésinos-Gelet, (2017, p.226) qui « aident le lecteur à orienter son regard et son jugement sur des aspects précis. En décrivant les impressions laissées par une œuvre à l’aide de ces critères, il devient plus facile de la comparer à d’autres en relevant des similitudes et des différences ». Si l’on met ces critères en regard de l’ouvrage qui nous intéresse, nous pouvons relever les éléments suivants :

  1. Au niveau du rythme, les phrases sont courtes et mélodieuses.
  2. Il y a un personnage principal, la souris et des personnages secondaires, les membres de la famille, les nouveaux amis de Susie, les livres.
  3. Le narrateur est externe, le pronom « il » est souvent utilisé.
  4. Au niveau de l’intrigue, la psychologie de la petite souris est plus développée que les actions qui se résument finalement à organiser une bibliothèque.
  5. Les lieux sont clairement décrits – la chambre de la souris, l’appartement de la famille, la bibliothèque.
  6. La tonalité émotionnelle de l’œuvre est plutôt joyeuse (Montésinos-Gelet, 2018, p.9).

Quant au registre de langue, il est le plus souvent courant avec quelques phrases qui permettraient une discussion philosophique, notamment quand le·la lecteur·rice découvre la chambre du petit garçon où les murs sont couverts de livres – « chaque livre est une brique pour construire une tour qui contient tous les secrets de l’humanité ».

Dans le prolongement des thèmes soulevés par Montésinos-Gelet, (2018), il serait judicieux de favoriser les interactions et la réflexion critique des élèves. Les enseigant·e·s pourraient intégrer des cercles de discussion au sein de leurs cours, offrant un espace propice à l’échange d’idées et à la construction de la compréhension.

Les questions suggérées dans cette optique pourraient être formulées de manière à stimuler la réflexion des apprenant·e·s sur les points clés de l'histoire. Par exemple, en demandant "qui est le personnage principal de cette histoire ? Pourquoi affirmes-tu cela ?", les élèves sont encouragés à identifier et justifier leurs choix, favorisant ainsi le développement de compétences d'analyse et de synthèse. L'introduction d'une question telle que "choisis un mot qui va bien avec Susie et dis-moi pourquoi tu as choisi ce mot" offre une opportunité d'exploration des nuances émotionnelles et des choix linguistiques des élèves. Cela peut également encourager la pensée créative et l'expression personnelle.

En proposant une question comme « un enfant de ton âge a lu cette histoire et a dit que Susie est triste. Es-tu d'accord avec cette idée ? », les enseignant·e·s encouragent les élèves à confronter leurs perspectives, à défendre leurs opinions et à développer leur capacité à comprendre les émotions des personnages d'une histoire.

Une activité d’écriture pourrait aussi être proposée à partir de la dernière image de l’album. Notre protagoniste nous réserve une surprise inattendue. Alors que le rideau se baisse sur les pages de son aventure, nous l’apercevons en compagnie d’un charmant monsieur souris. Ce dernier transporte avec elle un livre mystérieux intitutlé « Petits poèmes d’amour ». Cette scène finale laisse planer de nombreuses questions. Que va-t-elle faire avec ce livre ? Est-ce le début d'une histoire d'amour palpitante. Comment évoluera sa vie aux côtés du monsieur souris ? Les élèves ont l'occasion d'explorer ces questions et de donner libre cours à leur imagination. La rédaction de la suite de l'histoire de Susie offre aux élèves une chance unique de développer leurs compétences narratives tout en exprimant leur propre voix créative. C'est également une opportunité d'explorer des thèmes tels que l'amour, l'aventure, le mystère.

Pour conclure, Susie la souris qui lit est un livre qui présente une expérience littéraire complète. Les magnifiques illustrations, les petites portes découpées, les parties brillantes de la première de couverture et le style d'écriture fluide et captivant se combinent pour créer un ouvrage qui plonge les jeunes lecteurs·rices, dans un monde où l'amour de la lecture est à l'honneur. C'est un régal pour les sens et une invitation à explorer les joies de la lecture et de l'imagination.

L’album, Susie la souris qui lit nous rappelle avec tendresse et poésie que les mots ont le pouvoir de transformer nos vies. Qu'ils soient utilisés pour raconter des histoires, exprimer des émotions, ou simplement pour partager des moments de joie, les mots sont des trésors qui nous permettent de vivre une existence riche et épanouissante. Et comme le relèvent Crinon et Marin (2013), la littérature de jeunesse ne peut être remplacée dès la petite enfance, « parce qu’elle introduit à d’autres formes de connaissance, ouvre les portes de l’imaginaire et fait du langage un art ». Cet ouvrage invite les lecteurs·rices à découvrir l'univers merveilleux de la littérature et à embrasser le pouvoir de l'écriture pour s'évader, s'exprimer, et, comme Susie la souris, meubler nos vies de moments inoubliables.

Éléments de bibliographie

Crinon, J. et Marin, B. (2013). La littérature de jeunesse, une initiation culturelle. Nathan.

Lépine, M. et Hébert, M. (2018). Enquête sur les choix d’albums dans les pratiques déclarées d’enseignants québécois aux trois cycles du primaire. Dans I. Montésinos-Gelet (dir), Pleins feux sur l’album (p. 73-92). Canada : Centre de diffusion et de formation en didactique du français.

Morgenstern, S. (2023). Susie la souris qui lit ! Editions Gründ.

Montésinos-Gelet, I. (2017). Analyser la littérature jeunesse. Les attraits du livre. Le Pollen, 22, 220-226.

Montésinos-Gelet, I. (2018a). Les illustrations au sein de l’album : réflexions inspirées par l’univers de Stéphane Poulin. Dans I. Montésinos-Gelet (dir.), Pleins feux sur l’album (p. 7-12). Université de Montréal, CDFDF.
https://www.researchgate.net/publication/323227882_Pleins_feux_sur_l%27album

Van der Linden S. (2007). Lire l’album. L’Atelier du Poisson Soluble.

Chronique rédigée par Sonia Guillemin, professeure associée HEP (sonia.guillemin@hepl.ch)

[1] Site officiel de Susie Morgenstern : https://susiemorgenstern.com