De théâtre et de papier : utiliser le kamishibaï en classe

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© Le petit cheval bleu, Géraldine Elschner Élise Mansot, éditions Callicéphale.

 

Chose promise, chose due : voici le deuxième volet de la chronique sur les kamishibaï. Le premier volet, qui constituait un portrait des œuvres lauréates du concours international de kamishibaï plurilingues, organisé en partenariat avec la HEP Vaud, était la première incursion de Voie Livres dans le monde coloré du kamishibaï. À notre grande joie, un nouveau concours est d’ailleurs prévu cette année, encore une fois organisé par l’association Dulala, avec pour thème « Je me souviens »[1].  Remercions ici Carole-Anne Deschoux et René-Luc Thévoz membres du laboratoire LPIC (Langues Plurilinguisme Intégration Cultures), de faire partie des intervenants de la HEP Vaud qui assurent le bon déroulement du concours en Suisse et d'avoir inspiré cette chronique.

Une question en particulier est restée en suspens dans le premier volet : comment utiliser le kamishibaï en classe[2], tout en générant des apprentissages chez les élèves ? En prenant comme inspiration le projet de recherche 2Cr2D sur le texte qui raconte à l’oral, mené par Roxane Gagnon[3], professeure ordinaire à la HEP Vaud, Sonia Guillemin, professeure associée à la HEP Vaud, et Romaine Bobillier-Anzévui, animatrice pédagogique à la HEP Valais, ce deuxième voyage au cœur du théâtre de papier[4] vise humblement à présenter des bouts de réponses et d’idées face aux questionnements didactiques et pédagogiques que les enseignantes et enseignants pourraient avoir, s’ils avaient envie de bâtir des projets autour de la riche thématique de la construction d’un kamishibaï raconté de A à Z.

 

Conjuguer théâtre et papier

Rappelons d’abord ce qu’est le théâtre kamishibaï. Le kamishibaï permet la théâtralisation de récits en combinant l'utilisation de planches dessinées, magnifiées par le butaï, et l’oralisation de l’écrit. Contrairement à l’album de jeunesse traditionnel, le kamishibaï permet, et requiert, même, une véritable mise en scène du récit. Les planches glissent, se succèdent, se chevauchent et se recoupent, manipulées par la personne derrière le butaï. La lecture se fait à l’endos des planches, et les didascalies indiquent comment provoquer la surprise, la peur ou l’attente chez l’auditoire. Une certaine liberté peut être prise avec la lecture narrée et le glissement des planches :  l’adaptation de la narration à l’auditoire est encouragée.

Verso d’une planche de kamishibaï © Le petit cheval bleu, Géraldine Elschner Élise Mansot, éditions Callicéphale.

 

L’utilisation didactique du kamishibai

En mobilisant des habiletés de théâtralisation, d’écriture et de dessin, un projet de création de kamishibai, qu’il soit personnel ou collectif, permet de toucher à plusieurs visées prioritaires du domaine français du Plan d’études romand (PER), soit la maitrise de la lecture et l'écriture, le développement de la capacité à comprendre et à produire à l'oral et à l'écrit en français. Il permet aussi, si tels sont les objectifs des enseignant·e·s, la découverte des mécanismes grammaticaux, lexicaux et discursifs de la langue, en passant par un genre : le texte qui raconte.

 

Raconter une histoire en respectant la structure du récit

La compréhension de la structure du récit doit précéder toute forme de production. Ainsi, l’enseignant·e peut amener ses élèves à faire d’abord l’analyse de différents kamishibaï. Drôles, triste, à l’eau de rose : les éditions Callicéphale, notamment, en ont pour tous les gouts ! L’enseignant·e pourra commencer le travail de compréhension en présentant les parties du récit qui construisent le texte. Ces éléments permettent d’assurer au texte une certaine structure, proche du schéma narratif, et le respect du genre « raconté » :

  • Situation initiale
  • Problème
  • Actions
  • Situation finale

© Extrait de l'histoire de kamishibai "Dreams Come True", sur les évènements de l'enfance du maitre du manga Osamu Tezuka (Sackler Gallery, Washington, DC, le 4 décembre 2009). Capture d’écran de https://www.youtube.com/watch?v=7pWNJIM09Ww&feature=youtu.be.

La conception d’un kamishibaï peut certainement être le lieu de la mise en place d’un atelier d’écriture. Le fil narratif est dans ce contexte tissé en tenant compte des images et des caractéristiques du médium : jeux de mots, dynamisme de la narration orale, effets spéciaux dans le défilement des planches, etc[5]. Cette présentation de la structure du récit peut aussi être l’occasion de poser le notion du PER d’accélérateurs de rythme, ces petits mots ou expressions qui contribuent à dynamiser le récit ou à relancer l’action : « tout à coup », « soudain », « alors »… Dans le même ordre d’idées, les organisateurs temporels permettent, comme leur nom l’indique, d’organiser au mieux les phases du récit. Certains d’entre eux se réfèrent plutôt à une situation initiale sans complication : « il était une fois », « au début »… D’autres mettent la table pour la présentation d’un problème, comme « cependant », ou « par contre ». « Enfin », « et c’est ainsi » et « voilà comment » suggèrent un retour à l’équilibre, une situation finale.

L’écriture du kamishibaï peut être une occasion privilégiée de travailler de façon transversale entre enseignant·e·s de français et enseignants en arts visuels, afin de sublimer le rapport texte image. L’expertise de chacun des acteurs fait une grande différence sur la qualité de l’œuvre et l’implication des élèves.

© Images provenant du kamishibaï réalisé par deux classes de Bischwiller avec T. Chapeau - mai 2013 La visite de M. Kraft, tiré du document document Le Kamishibaï en classe : Applications pédagogiques, des éditions Callicéphale.

 

Raconter une histoire intégrant les caractéristiques du récit : personnages, actions, intentions, émotions/sentiments

Afin d’outiller les élèves à étoffer la description et les émotions des personnages de leur récit, il est recommandé de présenter aux élèves un inventaire de mots relatifs à au moins trois angles[6] :

- description physique;

- émotions ressenties,

- actions posées.

La sensibilisation des élèves à l’importance de la richesse du vocabulaire pour la description des personnages, de leurs émotions/intentions et de leurs actions assure une certaine cohérence au récit. En effet, ces éléments contribuent à poser le problème et à éventuellement expliquer pour quelles raisons le personnage principal passe par la série d’actions qui caractérisent son histoire.

 

Raconter une histoire intégrant les éléments relatifs à la performance : ton, débit, posture de conteur, de conteuse

L’une des caractéristiques les plus saillantes du kamishibaï est sa théâtralité, et les riches possibilités qu’offre sa mise en scène. C’est en effet surtout à travers cette dimension théâtrale que ce médium se différencie de son cousin, l’album jeunesse. Ainsi, l’enseignant·e doit amener ses élèves à moduler et adapter leur rythme, leur diction, leur volume, leurs intonations et un ensemble de contraintes liées à l’oralité (composantes incluses par ailleurs dans le PER, voir notamment les attentes du plan d'études pour L1-34 — Produire des textes oraux de genres différents adaptés aux situations d'énonciation) afin de donner du corps à l’histoire, en suscitant dans l’auditoire du suspense, de la joie, de la peur ou toute autre émotion liée au récit.

La pièce de théâtre kamishibaï est aussi un lieu de dialogues ! Ainsi, les élèves pourront jouer plusieurs personnages, en adoptant plusieurs types de voix. Il est aussi possible d’inviter plusieurs élèves à raconter. Plusieurs modalités de mises en scène sont possibles avec le kamishibaï !

 

Le kamishibaï comme outil didactique multifocal

Le kamishibaï, ce théâtre d’images, constitue un outil multifocal : d’abord instrument de compréhension orale, il peut devenir un outil de production écrite oralisée en partant d’un genre de texte[7]. Il permet un travail sur la base du schéma narratif par la construction d’un scénario. Sous sa forme de projet de communication collective, il engage aussi d’autres compétences : le vivre et le travailler ensemble et la cohésion du groupe vers un but commun.

Ce bref exposé a permis de mettre de l’avant certains éléments importants de la construction de récit par l’entremise d’un projet kamishibaï : structure actancielle, intentions, émotions et attributs des personnages, contraintes de l’oralité.

Cette apparente compartimentation de l’objet ne doit cependant pas éclipser une réalité importante, certes portée par l’album jeunesse et la narration orale, mais magnifiée, célébrée par le kamishibaï : le tout est plus que la somme des parties (illustrations + texte + interprétation théâtrale + butaï). Le propre du récit est de suggérer, de faire rêver, de permettre la mise à distance, et le kamishibaï le fait de façon grandiose.

 

[1] « Je me souviens » est un livre de Georges Perec, mais aussi et d’abord la devise du Québec, employée officiellement par le gouvernement dès la fin du XIXe siècle et inscrite sur toutes les plaques d’immatriculation de la province depuis 1978. De quoi inspirer les élèves d’écoles francophones de partout dans le monde !

[2] Le kamishibaï, malgré toutes ses qualités et les possibilités pédagogiques qu’il offre, n’est à notre connaissance pas mentionné dans le PER (Plan d’études romand).

[3] Le projet de recherche en question, « Didactique de l’oral : conception, validation d’outils et de séquences d’enseignement pour enseigner, évaluer la production orale à l’école obligatoire et faire progresser les élèves », en est présentement à sa troisième année. Il regroupe cette année, dans le cadre d’une formation continue, des enseignantes et enseignants du deuxième cycle.

[4] En japonais, kami, 紙, signifie ‘papier’, et shibaï, 芝居, ‘théâtre’.

[5] Plusieurs ressources sur l’utilisation du kamishibaï en classe sont disponibles dans le document Le Kamishibaï en classe : Applications pédagogiques, des éditions Callicéphale, accessible au https://www.mediatheques.strasbourg.eu/userfiles/parcours_thematiques/centre_illustration/pdf/biblio/2017/dossier_pedagogique_kamishibai.pdf.

[6] Tiré de la séquence d’enseignement Production de l’oral : nous inventons un conte avec des cartes, j’invente un conte avec des cartes au cycle 1, créé par Roxane Gagnon, Danièle Frossard, Floriane Lathion et Rosalie Bourdages. Cette séquence sera prochainement rendue disponible sur le site de la CIIP.

[7] Il peut même en être ainsi au premier cycle, puisque l’écriture du kamishibaï peut à ce stade passer par la dictée à l’adulte.

 

 

Chronique publiée le 25 novembre 2019

Par Rosalie Bourdages, assistante-diplômée à la HEP Vaud