Les flocons virevoltent doucement et viennent recouvrir le manteau de neige déjà présent. Les sons sont étouffés, comme enveloppés dans du coton. Une sensation de douceur se dégage malgré le froid pinçant de l’hiver. Au chaud, face à mon écran, je regarde ce ballet par de larges fenêtres et cherche les mots pour vous parler de l’univers de Kochka, dont l’écriture m’a émue plus d’une fois. Comme un symbole, cette météo imprévue correspond en partie aux ouvrages que je souhaite vous présenter.

Trouver un intitulé pour une chronique n’est parfois pas chose aisée. Comment qualifier un univers, une œuvre, un·e auteur·rice?

Délicat.

Cet adjectif polysémique sied à merveille à l’œuvre de l’autrice de littérature jeunesse Kochka. Dans l’ensemble de ses ouvrages, celle-ci nous emmène par la tendresse de ses mots dans un univers poétique où toutefois des sujets complexes, voire épineux, sont abordés. Une plume, délicate, tels les flocons qui se déposent, pour écrire sur des thèmes délicats, comme peut l’être la rigueur de l’hiver. Voilà comment nous pourrions décrire l’univers de Kochka.

Avant de pousser la porte d’entrée de cet univers et de vous exposer plus en détail les ouvrages qu’elle propose, découvrons qui se cache derrière ce nom d’autrice.

 

De Dominique Lancelot à Kochka. 

Issue d’un père français et d’une mère libanaise, Dominique Lancelot nait au Liban en 1964. Alors que la guerre civile éclate en 1975, sa famille est contrainte à l’exil. Dominique Lancelot est alors âgée de 12 ans. Elle grandit et poursuit ses études en France. Devenue avocate, en 1989, elle démissionne du barreau huit ans plus tard pour se consacrer à l’écriture. Elle choisit alors le pseudonyme « Kochka » qui signifie “Chat” en libanais [1].

Un univers poétique, touchant et incisif. 

Mère de cinq enfants, la naissance de son fils autiste va bouleverser son quotidien et sa façon d’appréhender le monde. Le déracinement, la différence, l’autisme, l’anorexie enfantine, la question des origines sont autant de thèmes qui parcourent les nombreuses œuvres de cette autrice franco-libanaise. Ces sujets, inspirés en partie de son propre vécu, sont traités tout en douceur à travers des récits poétiques empreints de l’univers des contes.

4 romans, coup de cœur.

Présentations faites, entrons maintenant dans l’univers de l’autrice à travers quatre romans édités chez Flammarion jeunesse, dont l’écriture oscille entre récit réaliste et conte philosophique.

Kochka, Frères d'exil. Roman 9-12 ans © Flammarion jeunesse, 2019, p. 144

Frères d’exil : Autour des migrations climatiques et de l’exil

Alors qu’une tempête vient inonder leur ile pour la faire disparaitre à jamais, Nani, âgée de 8 ans, et ses parents doivent s’exiler pour le continent. Son grand-père, Enoha, décide de rester pour ne pas les ralentir.  Au moment du départ, Enoha confie à Nani des lettres dans lesquelles il lui raconte son histoire et lui procure de précieux conseils. Lors de leur périple difficile, Nani et ses parents recueilleront Semeio, un petit garçon. Le destin de Nani et Semeio, frères d’exil, est à jamais lié. Ensemble, ils vont devoir se construire une nouvelle vie, riches des mots emplis de sagesse transmis par Enoha.

Le chant de Loon : Autour de l’autisme et de l’acceptation de la différence

Une histoire pour faire bouger les lignes … Ce roman humaniste et lumineux raconte l’histoire d’une rencontre entre un enseignant, un botaniste, Henri Lajoie et une enfant autiste, Loon. Présenté à travers quatre tableaux, ce roman nous dévoile comment Henri va permettre d’entrer au sein de l’univers apparemment clos dans lequel vit Loon.  Grâce à un changement de regard et d’approche du monde, l’enseignant et les élèves de la classe vont découvrir comment lier leur monde et celui de Loon sans la forcer à intégrer le leur, mais en rejoignant le sien.

 

Kochka, Le chant de Loon. Roman 9-12 ans © Flammarion jeunesse, 2021, p. 192

Kochka, La maison des mots perdus. Roman 9-12 ans © Flammarion jeunesse, 2023, p. 168

La maison des mots perdus : Autour de la recherche des origines

Ravi fête ses 10 ans. Cet anniversaire déclenche chez lui l’envie de se connaitre. Perdu et empli de tristesse, il aimerait comprendre ses origines et son histoire que les mots de sa mère, Asha, ne peuvent lui raconter, close dans son mutisme qu’elle ne rompt que pour chanter en Bengali, langue qu’il ne comprend pas. En manque de repères, Ravi trouve des guides au sein de son école. Ces personnes vont l’aider à grandir, à comprendre et à accepter son histoire et celle de Asha, agressée lorsqu’elle était jeune fille.

 

Tête de pioche, autour de l’amour des livres, du secret et de la résilience

Amoureux des livres, monsieur Pascadet, le surveillant de l’école, cache un trésor dans sa besace. Chaque soir, à l'heure de l'étude, il donne rendez-vous aux élèves : transmettre son amour de la lecture est son nouveau projet. Seulement voilà, l’un des élèves, Pierre, s'obstine à ne pas venir... Intrigué par cet enfant, Pascadet cherche à comprendre cette « tête de pioche ». Il essaiera de l’apprivoiser et déposera chaque jour la suite de l’histoire dans la boite aux lettres de l’enfant jusqu’à découvrir son secret…

 

 

Kochka, Tête de pioche. Roman 9-12 ans © Flammarion jeunesse, 2020, p. 96

Pourquoi choisir un ouvrage de Kochka ?

En utilisant l’artifice d’une histoire fictive, Kochka pointe de sa plume diverses problématiques  sociétales comme la pollution, l’exil, l’immigration, la discrimination, la peur de la différence ou les violences sexuelles. De manière toujours délicate et sans émettre de jugements, elle prône de manière émouvante un message de solidarité, d’espoir, de résilience, mais surtout de tolérance. Les sujets complexes abordés destinent donc plutôt ces quatre ouvrages à un public d’élèves de fin de deuxième cycle (Tête de pioche, Le chant de Loon) ou de troisième cycle (Frères d’exil, La maison des mots perdus). Nous pourrions penser que les thèmes évoqués sont peu adéquats pour l’enseignement de la littérature auprès de si jeunes élèves, mais l’écriture de Kochka permet d’accéder, en douceur, à leur compréhension. En outre, selon les mots de Georges Steiner « Comprendre, c’est accueillir fraternellement l’appel de celui qui a écrit ». Le rôle des enseignant·e·s que nous sommes trouve ici tout son sens. Accompagner les élèves pour qu’ils·elles accèdent à la littérature, afin de les aider à conduire, apprécier et analyser la lecture d’ouvrages littéraires malgré la difficulté des sujets abordés.

Des récits qui empruntent au réalisme, au conte philosophique et à la poésie.

Ces quatre romans sont, selon moi, d’une grande richesse : ils permettent diverses lectures selon les âges des lecteur·rice·s et offrent des chemins littéraires pluriels dont voici quelques exploitations possibles en lecture suivie.

Le récit réaliste.

Le réalisme de la vie des personnages, plutôt ordinaires, mais aussi celui des situations vécues et du contexte peuvent être exploités pour retracer la chronologie de l’histoire, l’évolution des personnages au cours du récit ou leurs différents points de vue sur la situation vécue ou encore pour décrire le contexte dans lequel ils vivent.

Une proposition de mise en œuvre -  La maison des mots perdus.

Après une lecture suivie, proposer aux élèves de remettre en ordre chronologique les évènements de l’histoire, par exemple : le jour de l’anniversaire de Ravi – l’apaisement de Ravi - la découverte de l’histoire de Asha – la rencontre entre Daïsuke-Natsuki-Akimasa et Ravi –– le désarroi et la colère de Ravi - les leçons de sagesse de Daïsuke-Natsuki-Akimasa.

Ensuite, à partir d’une lecture individuelle d’extraits de l’histoire, demander aux élèves de retracer l’évolution du personnage de Ravi. Deux questions peuvent guider les élèves :

  • Quels sentiments ressent Ravi dans chacun de ces extraits ?
  • Comment expliquez-vous ces changements ?

Une mise en commun peut être proposée en fin de séance afin de partager les points de vue. Voici quelques exemples de mots ou de phrases issus des extraits à proposer :

  • Partie 1, chapitre 3, p. 27-28 : « Quelquechose me fait mal au cœur aujourd’hui ». 
  • Partie 1, chapitre 9, p.47-48 : « Il y a une histoire là-dessous, et cette histoire est peut-être douloureuse… -Ah bon ? Vous croyez ? Que dois-je faire alors ? »
  • Partie 1, chapitre 12, p58-58 : « Ravi clôt ses yeux (…), il prie la joie, cette déesse, cette immense impératrice, de venir inonder sa vie. »
  • Partie 2, chapitre 3, p.71 : « (…) par cette porte, il va pouvoir s’en sortir ».
  • Partie 3, chapitre 3, p.96 : « Le cœur de Ravi est touché… ».
  • Partie 3, chapitre 9, p.117 : « (…) des larmes ruissèlent sur ses joues ».
  • Partie 3, chapitre 10, p. 124-125 : « Mais pour l’instant le garçon est choqué ».
  • Partie 4, chapitre 1, p.129-130 : « (…) il est entré tout seul dans l’obscurité. ».
  • Partie 5, chapitre 1, p.140-141 : « Dans son univers tout se noie. ».
  • Partie 5, chapitre 6, p.153 : « Il est en guerre intérieure …En prise avec son dragon. ».
  • Partie 5, chapitre 6, p. 161 : « La guerre en lui s’est apaisée. ».
Le conte philosophique.

La narration, l’univers imaginaire, voire utopique, renforcé par l’usage des noms étranges des personnages, empruntent au conte quelques-unes de ses caractéristiques. Dans l’univers de Kochka, toutes les blessures guérissent, toute l’humanité est altruiste. Cette apparente utopie permet aux lecteur·rice·s de s’interroger en douceur sur la société, l’humanité et la vie : que ce soient la peur du rejet d’un fils un peu différent, la question de la place d’un enfant autiste dont on attend qu’il entre dans le monde des autres au lieu d’entrer dans le sien, la migration climatique, l’exil puis l’immigration dans un autre pays, la recherche des racines, la reconstruction après un accident, la perte d’un être cher, la conception issue d’un viol… ce sont autant de thèmes et de sujets qui peuvent ouvrir au débat philosophique ou à l’étude des valeurs morales lors d’un atelier de philosophie.

Kochka, Frères d'exil. Roman 9-12 ans © Flammarion jeunesse, 2019, p. 32-33

Une proposition de mise en œuvre - Frères d’exil :  Atelier de philosophie.

1. Après une lecture suivie, proposer une problématisation du texte :

  • Évoquer avec les élèves les raisons de l’exil de la famille de Nani : la montée des eaux et la crainte que l’île ne finisse engloutie – sauver leur vie ; un relevé des différents passages du livre peut être effectué.
  • Un premier questionnement est proposé aux élèves : quelles autres raisons peuvent pousser une famille à l’exil ? ces situations leur rappellent-elles des pays existants ? pourquoi les grands parents de Nani choisissent-ils de rester ?
  • Poursuivre sur les difficultés liées à l’exil rencontrées par Nani et sa famille : au cours de leur trajet, à l’arrivée vers le lieu d’embarquement, lors de la traversée ou encore à leur débarquement sur le continent… Les relever à l’écrit ou à l’oral. Compléter ensuite avec les éléments positifs qui émaillent cet exil : l’entraide, la solidarité, l’espoir…
  • Un second questionnement est soumis aux élèves : que pensent-ils des difficultés vécues par les personnages ? quelles craintes ont-ils ? que ressentent-ils à leur arrivée sur le continent ? pourquoi ? comment les habitants des pays qui les accueillent réagissent-ils à leur arrivée ? comment les personnages gardent espoir ?

2. A l’issue de cette problématisation, demander aux élèves quels grands thèmes peuvent émaner des réponses apportées : la liberté, l’espoir, autrui… Proposer ensuite une ouverture sur l’un d’entre eux à partir d’une question philosophique à débattre. Par exemple, selon l’âge des élèves :

  • Est-on réellement libre si on ne peut pas décider de faire ce que l’on veut ?
  • Faut-il prendre en compte les autres dans notre liberté ?
  • L’espoir fait-il vraiment vivre ?
  • Autrui est-il nécessairement un adversaire ou un obstacle ?

3. Clôturer le débat et conserver une trace : à partir des échanges effectués, élaborer une affiche collective ou par petits groupes. Le « mot » du thème sera mis en valeur (par exemple « Liberté » ), des expressions ou des mots clés l’agrémenteront. L’affiche peut également être illustrée par des dessins ou des photographies évoquant le thème choisi.

La visée esthétique du texte - L’écriture poétique. 

Écrits en prose, ces quatre romans sont néanmoins emplis d’une esthétique poétique. La sonorité des mots choisis, les tournures inversées des phrases, les noms des personnages sont les pinceaux utilisés par Kochka. Telle une artiste peintre, l’autrice joue avec la langue comme avec les couleurs d’un tableau.

Cette visée esthétique peut cependant constituer un enjeu de compréhension pour l’élève, jeune lecteur·trice. L’enseignant·e joue ici tout son rôle d’accompagnant·e, en mobilisant un enseignement explicite de la compréhension pour pointer ce qu’a voulu écrire l’auteur, notamment à travers les nombreuses métaphores et autres figures de style employées. Les passages implicites peuvent également être sujets à discussion : chaque élève pourra s’exprimer sur ce qu’il·elle pense comprendre et sur les indices qu’il·elle a collectés dans le texte. Confronter, discuter des avis, les uns avec les autres, permettra aux élèves, grâce à l’étayage de l’enseignement, de confronter les interprétations, d’exposer les compréhensions voire peut-être de mettre en évidence d’éventuelles divergences d’interprétation et d’en débattre lors d’un cercle de lecture.

Une proposition de mise en œuvre Le chant de Loon:  Le cercle de lecture [3]

Le cercle de lecture est un dispositif accompagné d’activités décrochées d’enseignement explicite des stratégies de compréhension en lecture. Vous trouverez des informations précises de mises en œuvre d’un cercle de lecture dans les ressources « Pour aller plus loin » en fin de chronique.

  • Chacun des quatre romans est organisé en chapitres assez courts, ce qui permet une mise en œuvre aisée d’un cercle de lecture. En outre, l’organisation en plusieurs parties pour les œuvres plus longues comme Le chant de Loon ou La maison des mots perdus permet de proposer un cercle de lecture uniquement sur l’une d’entre elles.
  • Une lecture par chapitre est proposée aux élèves. Au préalable, chacun·e dispose d’un carnet de lecture sur lequel un canevas des actions à réaliser pour participer au cercle de lecture est inscrit. Chaque élève lit individuellement le chapitre puis écrit dans son carnet de lecture sa propre interprétation du texte selon la question posée. Une discussion s’ensuit en petits groupes hétérogènes.

Par exemple : chapitre 1 du Chant de Loon - Quelle est l’activité pratiquée par le narrateur ?

Kochka, Le chant de Loon. Roman 9-12 ans © Flammarion jeunesse, 2021, p. 15-16

L’importance des mots et de la transmission.

Dans chacun de ces quatre romans, l’oralité, les mots écrits, la voix sont omniprésents. La parole qui libère des secrets, la parole qui réconforte, l’absence de mots qui sépare, mais aussi d’autres langages, le chant, le partage ou le dessin qui réunissent sont des pistes à explorer. Le pouvoir de l’écriture et de la transmission est également marqué à travers les paroles de sagesse ou les échanges épistolaires des personnages.

Kochka, Frères d'exil. Roman 9-12 ans © Flammarion jeunesse, 2019, p. 14-15

Kochka, Tête de pioche. Roman 9-12 ans © Flammarion jeunesse, 2020, p. 16-17

Un exemple en productions d’écrits – Tête de pioche [4] - Écrire sur la lecture

Après la lecture des premiers chapitres du roman, questionner les élèves à l’oral à partir d’une phrase initiale : «M. Pascadet veut faire découvrir aux élèves les « trésors que recèlent les livres ».

  1. Pourquoi ?
  2. En quoi peut-on dire que les livres recèlent des trésors ?
  3. Quels trésors les livres peuvent-ils receler ?
  4. Quelle idée M. Pascadet se fait-il de la lecture ?

Après ces échanges en collectif, demander aux élèves de produire un écrit intitulé « la lecture et toi » autour des questions suivantes :

  1. Aimes-tu lire ?
  2. Que lis-tu ?
  3. Penses-tu, comme M. Pascadet, que les livres recèlent des trésors ?
  4. La lecture t’apporte-t-elle quelque chose ?

Ces écrits peuvent être réalisés au sein d’un carnet de lecture ou publiés sur des affiches qui agrémenteront le coin lecture de la classe.

L’interdisciplinarité.

L’ensemble des thèmes abordés et des contextes rencontrés est autant de nouvelles portes à ouvrir vers d’autres disciplines : les sciences à propos de la protection de l’environnement, la pollution ou le réchauffement climatique -  l’interculturalité à travers la découverte d’autres langues et cultures ou encore les productions artistiques, par le dessin, le théâtre ou le chant.

Pour conclure, malgré les sujets complexes abordés, j’espère vous avoir convaincu·e·s d’entrouvrir la porte de l’univers délicat et d’une incroyable douceur de Kochka. Une fois celle-ci franchie, n’hésitez pas à emmener vos élèves à la rencontre de ces ouvrages empreints de sagesse, de poésie et d’émotions.

 

Pour aller plus loin : 

 

Chronique rédigée par Charlotte Lebreton, assistante-doctorante à l’UER de didactique du français, HEP Vaud (charlotte.lebreton@hepl.ch)

[1] https://www.babelio.com/auteur/-Kochka/26171

[2] https://prix.lesincos.com/author/246

[3] Les cercles de lecture : un dispositif favorisant la gestion de la compréhension et l’autonomie du lecteur. Burdet, C. & Guillemin, S. 2013. www.forumlecture. ch.

[4]  Source : fiche enseignant, tête de pioche – Flammarion jeunesse https://www.flammarion-jeunesse.fr/tete-de-pioche/9782081518636