La poésie, un jeu d’enfants (2/2) ! 

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Cette chronique constitue le second volet de la présentation d’un ensemble d’ateliers poésie que nous avons construits et menés en classe, ou lors de manifestations culturelles. Dans la première chronique, parue la semaine passée, nous avons envisagé trois ateliers concentrés principalement sur la réécriture de poèmes et la lecture de textes et d’images.

L’ensemble de cette chronique excédant le volume d’une seule publication, nous nous sommes tenus à la ligne de partage commode entre l’écrit et l’oral. Nous souhaitons néanmoins rappeler qu’il n’est nullement nécessaire d’organiser une séance de poésie autour d’un seul atelier, d’une compétence ou d’un aspect ; à chacune des occasions où nous avons pu les vivre avec les élèves, nous avons toujours, et sans souci d’ordre ni de progression, visé une expérience plurielle, dépassant précisément les clivages artificiels entre oral et écrit, texte et image, réflexion et sensation.

L’atelier présenté dans ce deuxième volet allie écoute de poèmes lus à voix haute, découverte de la diversité des langues et exploration des sensations et émotions par les élèves ; les enregistrements que nous avons réalisés avec des parents d’élèves peuvent être écoutés sur cette page et sont laissés à disposition pour un usage dans le cadre scolaire ou d’ateliers.

A l’écoute des langues 

PER : L1 17 approche interlinguistique & CT : collaboration, prise en compte de l’autre & L1 15 : Apprécier des ouvrages littéraires… « découverte des émotions ressenties à la lecture ou à l’écoute d’un rire (peur, rire, tristesse…)

Cet atelier cherche à faire expérimenter l’impact affectif des sonorités d’une langue qu’on ne comprend pas. En effet, si le sens des mots échappe à l’auditeur, cela isole et met en relief la texture sonore de la langue (rythme, tonalités, accents, phonèmes spécifiques ou récurrents) ; alors que, concernant une langue que l’on maîtrise, ces aspects apparaîtront toujours indissolublement liés à la signification que l’on ne peut s’empêcher, comme par réflexe, d’identifier, entièrement ou par bribes. Cette expérience d’écoute ne peut fonctionner qu’à la condition, bien évidemment, que l’élève ne maîtrise pas cette langue-là, en plus du français. Il nous est effectivement arrivé de nous trouver dans le cas de figure où un ou plusieurs enfants connaissaient ou parlaient la langue enregistrée. Rien n’empêche pour autant qu’ils fassent l’exercice. Cela peut être une belle occasion de les laisser expliquer le sens du poème à la fin.

Demander à quelqu’un d’expliciter ce qu’il ressent avec des mots est extrêmement difficile. Cela à plus forte raison avec des enfants. Nous avons donc préféré passer par l’intermédiaire d’images que les enfants devaient choisir en fonction de ce qu’ils ressentaient à l’écoute du poème pour l’exprimer.

Puisque nous cherchions à cerner des affects, nous avons préféré restreindre notre corpus d’images à des toiles non figuratives.

Deux toiles de Zao Wou ki

Nous ne prétendons pas pour autant que des toiles figuratives ne pourraient faire l’affaire. L’exercice se fait collectivement. En plus de l’image, il est possible de s’appuyer également sur une liste de mots clefs (adjectifs ou expressions) associés à des sensations, parmi lesquelles l’enfant pourra entourer les mots qui lui semblent le mieux traduire sa réception de la lecture enregistrée. Une forme possible parmi d’autres est ce petit questionnaire que nous avions destiné à un groupe d’enfant qui devaient faire cet atelier en autonomie. Un échange oral plus dynamique est bien évidemment tout aussi pertinent.

A aucun moment, le but de cet atelier n’est de comparer les langues entre elles. Nous nous sommes d’ailleurs limités à une seule langue pour chaque atelier. Il est extrêmement intéressant de faire participer les élèves de la classe, s’ils parlent une langue étrangère ainsi que les parents d’élève en leur proposant de lire un poème dans leur langue et de les enregistrer.

L’exercice se justifie dans cette forme-là. Avec des enfants en bas âge, il n’est pas nécessairement aisé (et peut-être pas indispensable) de chercher davantage à les pousser à conscientiser et formuler leur ressenti.

Si l’on souhaite y consacrer plus de temps, cette entrée par l’affect « brut », loin de s’opposer à une analyse descriptive de l’extrait sonore, peut en constituer le préalable ; et peut-être même la condition pour cerner ce qui, dans cette mise en voix, provoque l’expérience singulière de chacun. En plus de dépasser l’opposition stricte et infondée entre expérience subjective et analyse de l’objet, elle permet d’intégrer d’emblée la multiplicité des réceptions singulières (chacun n’aura pas nécessairement choisi les mêmes images ni les mêmes mots) et de rendre au texte et à son interprétation vocale sa pleine richesse esthétique.

Afin que l’exercice puisse être mené en classe, nous livrons ici trois enregistrements sonores, en arabe, en espagnol et en portugais, réalisés par des parents d’élèves. Nous y joignons la version écrite du texte en langue et graphie originale ainsi qu’une traduction de chacun en français. Deux des trois textes sont extraits du livre Tour de Terre en poésie [1]. Nous précisons que ces extraits ne sont pas destinés à un autre usage que celui mentionné ci-dessus.

Enregistrement n°1

 

J.-M. Henry & M. Vautier (1998). Tour de terre en poésie. Anthologie multilingue de poèmes du monde. Voisins-le-Bretonneux : Rue du monde.©

Enregistrement n° 2 

Agua, ¿dónde vas?

Agua, ¿dónde vas?

Riendo voy por el río

a las orillas del mar.

Mar, ¿adónde vas?

Río arriba voy buscando

fuente donde descansar.

Chopo, y tú ¿qué harás?

No quiero decirte nada.

Yo..., ¡temblar!

¿Qué deseo, qué no deseo,

por el río y por la mar?

Cuatro pájaros sin rumbo

en el alto chopo están.

Federico García Lorca

Eau, où vas-tu ?

Eau, où vas-tu ?
Je vais riant par la rivière
jusqu'aux rivages de la mer.
Mer, où vas-tu ?
Par la rivière je cherche
une fontaine où me reposer.
Peuplier, et toi, qu'est-ce que tu fais ?
Je ne veux rien te dire
moi ... je tremble !
Ce que j'espère, ce que je ne voudrais pas,
par la rivière, par la mer ?
Quatre oiseaux perdus
Sont sur le haut peuplier !

Pegasos lindos pegasos

Pegasos, lindos pegasos, 
caballitos de madera... 

Yo conocí siendo niño, 
la alegría de dar vueltas 
sobre un corcel colorado, 
en una noche de fiesta. 

En el aire polvoriento 
chispeaban las candelas, 
y la noche azul ardía 
toda sembrada de estrellas. 

¡Alegrías infantiles 
que cuestan una moneda 
de cobre, lindos pegasos, 
caballitos de madera!

Antonio Machado

Pégases, jolis pégases

Pégases, jolis pégases
petits chevaux de bois...

Enfant, je connus
la joie de tourner
sur un cheval coloré
par une nuit de fête.

Dans l’air poussiéreux
les bougies étincelaient
et la nuit bleue brûlait
toute semée d’étoiles.

Joies enfantines
qui coûtent une monnaie
de cuivre, jolis pégases,
petits chevaux de bois.... !

J.-M. Henry & M. Vautier (1998). Tour de terre en poésie. Anthologie multilingue de poèmes du monde. Voisins-le-Bretonneux : Rue du monde.©

Enregistrement n° 3 

 

J.-M. Henry & M. Vautier (1998). Tour de terre en poésie. Anthologie multilingue de poèmes du monde. Voisins-le-Bretonneux : Rue du monde.©

En guise de conclusion et d’ouverture… 

S’il y avait une idée à retenir de ces ateliers, c’est que la poésie et son enseignement ne sont pas réservés aux connaisseurs ou aux poètes. Ce qui importe principalement, c’est de vouloir explorer ses sensations, de découvrir la richesse de la langue et de jouer avec les mots. Il nous semble également capital de laisser une large place au collectif. Dans sa dimension poétique, le langage participe à créer du lien entre les élèves. Ainsi, il convient d’être ouvert à l’imprévu et de ne pas craindre de manquer de bonne réponse ou d’objet d’apprentissage précis.

Le dispositif est une condition de possibilité d’expérience, un tremplin, mais il ne garantit pas la réussite, qui tient dans la « magie » qui s’opère entre l’enseignant et ses élèves. Nos propositions sont là pour inspirer et pas forcément pour être suivies à la lettre ; chacun est libre de se réapproprier les idées et en faire naître d’autres. Ils sont adaptés aux enfants dans le sens où ils se concentrent sur l’affect, l’interaction, le jeu et la créativité. D’après nous, cependant, ils peuvent être proposés à tout âge, même aux adultes. Amusez-vous bien !

[1] J.-M. Henry & M. Vautier (1998). Tour de terre en poésie. Anthologie multilingue de poèmes du monde. Voisins-le-Bretonneux : Rue du monde.

Par Claire Masson, enseignante 1-2 H au collège de Malley, Lausanne, claireamelie.masson@vd.educanet2.ch & Mathieu Depeursinge, assistant à la HEP Vaud, mathieu.depeursinge@hepl.ch

Chronique publiée le 19 juin 2017