Et si nous nous préparions à rencontrer une auteure de littérature pour la jeunesse ? !

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A la Haute école pédagogique du canton de Vaud, un séminaire optionnel est consacré à la littérature de jeunesse. En troisième année, une vingtaine d’étudiant.e.s peuvent le suivre. Dans notre programme, deux séances sont dédiées à la visite d’un.e auteur.e de la région.

La première porte sur la préparation et lors de la seconde, nous effectuons la visite chez l’auteur.e. Nous relevons le pari que si nous organisons avec nos étudiant.e.s la visite, ils viendront et y trouveront de l’intérêt et que s’ils y trouvent de l’intérêt, ils en organiseront avec leurs élèves… Pas facile, car ces séminaires visent à la fois à mobiliser nos étudiant.e.s en leur montrant l’intérêt et les bénéfices d’organiser une visite à des professionnels (car nous y croyons) tout en les accompagnant à se projeter et à susciter une rencontre. Ces étudiant.e.s n’ont pas de formation en lettres, nous ne savons pas a priori quel est leur rapport à la lecture et à la littérature de jeunesse. Comme notre mission est de construire avec ces étudiant.e.s les outils pour accompagner les élèves, que faire, que dire, à quoi penser ?

Voici ce que nous leur proposons.

Notre réflexion est construite à partir de trois dimensions : 1) préciser le rôle du professionnel dans la chaîne de production du livre, 2) réfléchir à sa pertinence pour une classe, 3) inviter nos étudiant.e.s à se questionner sur leurs connaissances de ce monde. Ce questionnement devrait leur donner envie d’organiser une rencontre et de s’investir pour cet événement.

Ce travail comporte des dimensions pratiques et épistémologiques en regard d’enjeux cognitifs, sociaux, culturels, affectifs que nous abordons didactiquement.

Concrètement, le premier séminaire propose trois moments de travail : 1) la découverte d’auteur.e.s en littérature de jeunesse, 2) l’identification de la place et du rôle de l’auteur.e dans la chaîne du livre, 3) les choix du plan d’études romand (PER). Ces trois moments visent à intéresser, impliquer, questionner, donner l’envie de rencontrer l’auteure encore inconnue pour eux (séminaire 2).

Voici le déroulement de notre séance :

Une « réflexion découverte » à partir d’auteur.e.s pour esquisser des parentés avec le travail de celle qui va être rencontrée

Nous commençons notre cours par notre questionnement et nous faisons réagir les étudiant.e.s à une citation d’A. Herbauts.

« Ce n’est pas raconter une histoire. C’est au-delà d’une histoire. C’est le é envolé, c’est le cri, c’est le rire. C’est raconter l’histoire et son absence. Dire en écrivant l’entour, les abords (…) » [1]

Cette citation donne le ton. Les étudiant.e.s réagissent. Il y a donc beaucoup plus que du texte dans l’acte d’écrire. Il y a des rapports à créer avec un auteur, des auteurs, l’univers de l’écrit qui impliquent des dimensions affectives, cognitives, sociales, culturelles et langagières. Ces rapports permettront peut-être à l’élève de trouver des éléments qui l’inviteront à évoluer et à se positionner au fil de ses lectures. Une remarque, un geste, un mot, une réaction, une thématique composeront un univers dans lequel il puisera. Il pourra ainsi comprendre ce qu’il n’avait pas pu faire avant ; il pourra se situer dans des groupes qui partagent ses préoccupations ou au contraire qui ne les partagent pas du tout. Il apprendra que les choix (les siens et ceux des autres) ne sont pas exclusifs. Il se référera peut-être au monde de l’écrit pour aller chercher des questions et des réponses qu’il se pose en tant qu’être humain et trouver des interlocuteurs.

Ensuite, nous nous intéressons à des auteurs. Nous ne voulons pas tout de suite proposer des productions de l’auteure à qui nous allons rendre visite, car nous voulons ménager du suspens, créer une appétence. Il permet aussi d’identifier des potentielles « parentées » avec l’auteure à venir. Les étudiant.e.s ont devant les yeux des albums. Ils les feuillètent et partagent leurs observations. Ils évoquent ce qui les questionne et ce qu’ils gardent pour se préparer à aller vers l’auteure.

Pour Anne Herbauts : les étudiant.e.s relèvent que les albums semblent difficiles à aborder avec des enfants. Ils pointent la dimension poétique, le rapport entre le dedans et le dehors, l’intimité et l’espace public, le quotidien, le petit, mais aussi le collage, le découpage et le pastel.

Pour Germano Zullo et Albertine, ils mentionnent : la finesse du trait, l’humour, les dimensions philosophiques, le quotidien, la complicité, la critique sociale et l’abstraction.

Pour Ronald Curchod, ils retiennent : l’absence du texte, le rêve, l’entrée par les images dans la dynamique du livre, la dimension graphique, la thématique de la peur, la forme sont relevés.

Une étudiante réagit en disant qu’elle aurait préféré entrer par le travail de l’auteure que nous allons rencontrer. Elle rajoute qu’avec des enfants, elle ne pourrait pas passer par d’autres auteur.e.s…Elle préfère parler de l’auteure en question plus directement et partir de son univers…

Les étudiant.e.s évoquent des thématiques, des valeurs qu’elles exploreront : l’humour, la valeur du quotidien, la technique du collage.

Nous consultons le net et découvrons des photos du lieu, de livres, de jeux. Nous poursuivons notre exploration.

La chaîne du livre et l’auteur.e

Cette auteure qui écrit le texte, est-elle seule à le faire ? Collabore-t-elle avec d’autres personnes ? Et finalement quel est son rôle et sa place dans la chaîne du livre ?

Elle n’est pas forcément seule. Pour produire un livre, un illustrateur, un éditeur, un graphiste, un imprimeur, un relieur sont parfois nécessaires. Après tout dépend de la façon de travailler et des moyens de la maison d’édition qui va éditer le livre. Nous déployons le leporello d’Alain Serres et discutons.

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A. Serres (2013),  Pour faire un livre,  Voisins-le-Bretonneux : Rue du Monde.©

Pour le début, il n’y a pas de règle. Parfois l’auteure débute avec un illustrateur qu’il connaît ou pas. Soit elle écrit le texte avant les illustrations ou parfois c’est l’inverse (c’est plus rare). Ainsi parfois le livre existe avant d’avoir trouvé un éditeur ou d’autres fois l’éditeur passe commande. Celui qui commence donne le rythme à la narration. Le processus de production et la genèse d’un livre intéressent les étudiant.e.s. Quelle technique utilisée ? Quels découpages d’une histoire ? Comment organiser la dynamique de cette histoire ? Entre-t-on d’abord par le texte ou l’image ? Nous questionnerons l’auteure sur ce qu’elle fait et lui demanderons des exemples.

Le plan d’études romand (PER).

Parmi les visées prioritaires, la rencontre d’un.e. auteur.e peut s’inscrire dans la construction de références culturelles et de liens personnels avec le monde du livre. Se présente ainsi une porte pour accéder à la littérature, développer la référence au monde de l’écrit pour aller chercher des questions et des réponses que l’on se pose en tant qu’être humain, trouver des interlocuteurs, développer ses goûts en apprenant à se situer dans le monde du livre (dans le choix de livres, d’auteurs, de thématiques) et en général. Rappelons que le plan d’études romand (PER) défend une perspective holistique de l’être humain.

Dans les moyens d’enseignement à l’école, une place est faite aux albums de jeunesse. Ces supports, présents dès le cycle 1 (élèves de 4 ans) initient ainsi les premiers pas en lecture. La méthodologie dire-écrire-lire (DEL) vise déjà un apprentissage littéracié de l’écrit. Les élèves découvrent déjà des albums d’auteurs contemporains pour les apprécier ou non, pour définir leurs goûts et se situer en endossant le rôle du lecteur.

Mais comment allier plaisir et apprentissages (usages et de contenus scolaires et socioculturels) à l’école ? Est-ce possible de le faire avec jubilation et sérieux ?  Questionnons le rôle de l’école qui doit à la fois faire construire des savoirs sur la langue, des savoirs langagiers et des savoirs généraux sur le monde de l’écrit tout en invitant les élèves à s’émanciper. Comment associer contraintes scolaires et besoins personnels ? Le propre de l’apprentissage est d’être déstabilisé, car en apprenant on construit quelque chose qui n’était pas présent avant. Mais alors comment donner confiance à ce qui peut advenir ? Comment donner envie d’explorer, de questionner, de prospecter en toute confiance ? Comment donner envie de partager ses prises de conscience, ses interrogations et ses incompréhensions ? Est-ce possible de le faire avec jubilation et sérieux ?

L’organisation d’une visite avec des élèves auprès d’un.e auteur.e.

Puis nous nous lançons dans les questions pratiques. Que faire avant, pendant et après la visite ? A partir de cette consigne, nos étudiant.e.s élaborent des rubriques, formulent des remarques.

Voici une liste, non exhaustive, à la Perec.

1. Créer un lien avec l’auteur.e et son travail

avant

  • choisir un.e auteur.e
  • explorer son univers (productions, lieux, objets), s’intéresser au processus de création (matériel, thème, personnages, lieux)
  • contacter la personne

pendant

  • observer ce qui est proposé (matériel, lieux)
  • identifier les dimensions techniques (étapes, rapport texte-image, format), la genèse du travail et son développement, les valeurs
  • la questionner sur son rapport aux autres professionnels (chaine du livre), à d’autres auteur.e.s
  • la questionner sur l’importance des lecteur.trices mais aussi sur son propre rapport à l’écrit, à la création
  • inviter les élèves à réagir
  • renvoyer à ce qui a été fait en classe ou à ce qui sera fait

après

  • remercier
  • consacrer un espace temps pour revenir sur ce qui s’est passé en classe et y laisser une trace

2. Gérer les aspects organisationnels

avant et après

  • organiser la venue de l’auteur.e ou le déplacement vers l’auteur.e (disponibilité, déplacements, lieu, moment, matériel)
  • prévoir les dimensions financières (établissement, département)

pendant

  • assurer les aspects disciplinaires (gestion de classe) et le soin apporté aux objets et au lieu (on entre dans l’univers de l’autre)

3. Identifier les apprentissages visés

  • identifier les disciplines retenues, les axes du PER choisis
  • formuler les objectifs, préciser les moyens d’enseignement
  • identifier d’autres objectifs, d’autres disciplines en prolongement à cette visite (rupture ou continuité)
  • préciser le statut du livre (moyens ou but)

4. Faire le lien avec les élèves

  • identifier ce qui pourrait les intéresser
  • rebondir sur un événement vécu ensemble

5. Faire le point avec soi-même

  • identifier l’intérêt que l’on a ou que l’on n’a pas pour l’auteur.e
  • faire le point sur son parcours et sur la place des livres, de la lecture, des auteur.e.s dans ce parcours

Conclusion

Tout ce travail préparatoire est primordial. Peut-être qu’avec tous ces petits cailloux, la rencontre se produira. Plaisir et apprentissages sont compatibles pour nous. Réjouissez-vous, réjouissons-nous.

[1] N. Chabrol Gagne (2008), Ecriture de la disparition chez Anne Herbauts, Modernités 28, L’album contemporain pour la jeunesse : nouvelles formes, nouveaux lecteurs?, 161-172.

Par Carole-Anne Deschoux, professeure-formatrice à la HEP Vaud, carole-anne.deschoux@hepl.ch et Diane Gleeton-Burnand, enseignante spécialisée à Ollons, diane.bg@bluewin.ch

 Chronique publiée le 6.12.2016