Ecrire en prison pour s’exprimer

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Cette chronique constitue le second volet d’une entreprise visant à mieux cerner comment deux pratiques, la lecture et l’écriture, sont vécues par des jeunes détenus en prison. Le premier volet, consacré à la lecture, a montré comme le rapport à la lecture des jeunes se redéfinit en condition d’enferment (cf. https://www.voielivres.ch/lire-en-prison-pour-habiter-le-temps/). Dans cette seconde chronique, il s’agira de comprendre le rôle d’ateliers d’écriture mis en place par deux éducateurs ainsi que de découvrir le texte d’un des gagnants du concours d’écriture organisé par l’établissement.

L’interview

Raphaël et Danielle, deux éducateurs de l’établissement de détention pour mineurs et jeunes adultes de Palézieux ont mis en place des ateliers d’écriture. Ils répondent à nos questions pour nous expliquer comment ils tentent de réconcilier les détenus avec l’écrit en leur faisant découvrir, par la pratique, certains de ses enjeux.

 

Dites-nous comment ce concours est né ?

Ce projet visait à clôturer l’année 2017 avec un événement en lien avec l’atelier d’écriture que nous animons et la médiathèque de l’établissement que nous gérons. Il nous semblait intéressant de valoriser les compétences des jeunes acquises via la pratique de l’écriture et de la lecture. Par ailleurs, il s’agissait de proposer une activité motivante qui pouvait être réalisée durant les moments passés seul.e en cellule, permettant aux jeunes de s’exprimer par l’écriture et de remporter un prix.

Que visiez-vous en faisant écrire les jeunes détenu.e.s ?

L’objectif de ce concours, et plus largement de l’atelier d’écriture, est de donner l’occasion aux participants d’exprimer une idée, un ressenti, un vécu réel ou imaginaire au travers de l’écrit. Nous essayons ainsi de montrer l'importance de l'écriture et de ses enjeux à des jeunes dont le rapport à l’écrit est souvent vécu comme difficile.

Comment se déroule un atelier ?

Les ateliers d’écriture sont une des formes d’ateliers éducatifs proposées aux détenus. Ils ont lieu toutes les semaines et sont donnés en alternance aux mineurs et aux majeurs. Les détenus s’inscrivent volontairement. L’accent est mis prioritairement sur la dimension expressive de l’écriture et les activités proposées doivent permettre d’acueillir différents profils de scripteurs, notamment des allophones. Des outils sont mis à disposition des jeunes pour les soutenir dans leur production et les amener à penser les choix qu’ils font. Ces outils peuvent concerner des moyens permettant de s’approprier divers genres écrits (le portrait chinois, le plaidoyer, des bulles de BD vides, le slogan…), d’essayer plusieurs techniques et supports de l’écriture (la calligraphie, la réalisation de papier, l’écriture à la craie dans la cour...), de travailler le contenu en abordant des sujets d’ordre philosophique. Lorsque nous animons l’atelier préparé à tour de rôle, nous écrivons en même temps que les jeunes de façon à créer un climat de confiance favorable à l’expression. Cet atelier est basé sur l’entraide, le partage via des discussions, le respect de soi, le respect des autres et celui du matériel.

Pouvez-vous expliquer comment le concours a été organisé ?

Ce concours a été ouvert à tous les détenus de l’établissement. Le thème choisi était « Mon premier jour en prison » avec la consigne d’écrire dans une forme libre (une histoire romancée, autobiographique, fantaisiste, policière, un rap ou un slam, un poème…) son expérience tout en cherchant à en rendre compte de manière originale. Le concours sert principalement à valoriser le travail effectué lors des ateliers d’écriture, à développer le plaisir d’écrire et à motiver les détenu.e.s avec la possibilité de remporter un prix. Pour évaluer les écrits de jeunes, nous avons établi une liste de critères qui sont : la capacité à évoquer des sensations et des ressentis, la compétence rédactionnelle, la cohérence du texte, l’originalité du texte, le support utilisé et les efforts fournis.

Nous sommes assez satisfaits de cette première expérience malgré le peu de textes produits, d’une part à cause de la difficulté de l’exercice, d’autre part à cause d’un manque de coordination du secteur socio-éducatif qui n’a pas permis la bonne circulation des informations.

 

Un des textes primés

Voici un des textes primés qui rend compte de la réussite de l’opération. Il propose une manière de raconter très originale qui permet de se mettre dans la tête d’un détenu au moment où il entre en prison avec toutes les questions et les réflexions qu’il se fait lors de son emprisonnement. Il s’agit d’un récit qui montre avec sensibilité et finesse ce qu’est un premier jour de détention.

Je souhaite vivement remercier Danielle et Raphaël, éducateurs aux Léchaires, qui ont permis que cette chronique voit le jour en évoquant certains enjeux du monde carcéral rarement médiatisés. Merci également au jeune dont la production est publiée ci-dessus.

Mes remerciements vont également à la direction et plus généralement à l’entier de l’établissement des Léchaires qui a été partie prenante du projet.

Par Vanessa Depallens, assistante-doctorante à la HEP Vaud, vanessa.depallens@hepl.ch

Chronique publiée le 12 mars 2018