On dit beaucoup de choses sur les jeunes et la lecture. Certains adultes pensent que les jeunes ne lisent plus, que les « adolecrans » ont été sacrifiés sur l’autel de la tablette et que ceux qui ont survécu ne connaissent que des mangas.

Cette chronique revient sur une rencontre avec un lecteur de douze ans dont la maman suivait des cours à la Haute école pédagogique du Canton de Vaud. Ce dernier, pour « tuer le temps », a lu un roman d’Eva Roth Survivre qui était dans ma bibliothèque.

Quelques jours plus tard, j’ai reçu un tableau du jeune homme qui reprenait ce qu’il avait aimé et ce qu’il n’avait pas aimé du livre lu.

 

Tableau reçu de Matias

D’emblée, on se dit que l’initiative prise par notre lecteur, construire un tableau, est peut-être un indice du transfert d’une activité scolaire dans les pratiques sociales de référence. Autrement dit, un transfert d’une habitude scolaire dans la vie réelle d’un lecteur ou d’une lectrice. On pourrait identifier dans l’élaboration d’un tel tableau une stratégie pour simplifier la complexité du réel, comme une étape nécessaire pour entrer dans le récit, y mettre de l’ordre, construire une représentation de son positionnement de lecteur ou de lectrice. Peut-être que c’est à cette condition-là qu’on peut ensuite, dans un second temps, redonner au texte toute sa richesse.

Je l’ai recontacté pour un petit entretien par zoom : voici ce que Matias dit de Survivre.

Entretien avec Matias

Carole-Anne Deschoux, HEP Vaud : Pour aider nos lectrices et lecteurs à entrer dans l’histoire, tu pourrais nous dire de quoi parle le livre ?

Matias : C’est l’histoire d’une fille, Lila, qui va vivre les états d’âme de son papa, Aurèle, et les siens aussi.

Au début, ce papa ne parle pas. Il a perdu sa femme, il est renfermé, choqué. Puis ça va changer quand il rencontrera l’enseignante de Lila. Il se dit à un moment donné que c’est la vie. « Perdre sa femme arrive. C’est un processus. J’ai une fille et la vie continue ».

Lila avant la mort de sa maman avait une vie normale, pas triste forcément. Parfois ses copains l’appelaient Lilaperche parce qu’elle était grande. Quand elle a perdu sa maman, elle ne s’est plus fait embêter par ses copains. Ils ont eu pitié et ont arrêté de se moquer d’elle. À un moment donné, son papa drague son enseignante. Il faut aussi dire que Lila est amoureuse d’Aurèle. Lila est fâchée contre lui et contre son enseignante.

Lila et son père partent en vacances. De l’Allemagne, ils veulent aller en France. Finalement, ils ont choisi un petit village à la frontière de la Pologne.

Quand son père a demandé à Lila de conduire la voiture, elle n’a pas compris. Elle s’est dit : « Il est devenu fou ». Ils ont campé une première fois au bord d’une rivière qui a débordé et qui a emmené leur matériel.

Le père a téléphoné à l’enseignante pour lui demander de l’aide. Elle arrive et elle danse avec son père dans la forêt. Lila ne supporte plus de voir son papa avec son enseignante. Elle part avec la voiture un peu triste, stressée, confuse et va jusqu’au village. Elle fait une fugue et dort une nuit chez une vieille dame, Baba. Elle téléphonera à Aurèle pour lui expliquer ce qu’elle vit et lui demandera de venir – ce qu’il fait. Elle appellera aussi ses grands-parents. Les grands-parents lui disent qu’elle doit vivre avec ça. « Tu ne peux pas rester avec le passé. Ton papa est de nouveau bien, c’est aussi parce qu’il a trouvé quelqu’un ». Elle échangera avec deux amis qui traitent l’enseignante de tank, car elle est un peu grosse. Lila ne voulait pas que cela se passe comme ça. Les villageois vont chercher le papa. Ils vont tous chez Baba. Ils se réconcilient. L’enseignante et Aurèle repartent en train ensemble.

C’est un livre réaliste qui représente la vie. Il est drôle aussi.

CAD : Est-ce qu’il y a un passage qui t’a particulièrement intéressé ? Et pourquoi ?

Matias : Oui. Les chapitres 33 et 34 (p.185-195). C’est quand Lila part en voiture. Son père et Sandrine, l’enseignante, dansent. Lila roule dans la forêt et tout se bouscule dans sa tête. Il y a beaucoup de choses. Il y a de la confusion. Elle insulte l’enseignante. On ne sait pas comment son papa va réagir. Elle a un dilemme : rester ou partir ? J’ai voulu savoir la suite. J’étais pris dans ce passage.

Eva Roth, Survivre avec mon père, © La joie de lire, 2023, p.188

Eva Roth, Survivre avec mon père, © La joie de lire, 2023, p. 195

Il y a aussi un autre passage qui est celui de la soupe aux escargots (p.113-115). Lila dit qu’elle ne va jamais manger « de ce mets raffiné ». Elle se dit que c’est dégueulasse. J’aime bien sa réaction face à la soupe. Puis elle regarde son père qui ne rigole pas. Il est vraiment sérieux et a envie d’en manger.

Eva Roth, Survivre avec mon père, © La joie de lire, 2023, p. 114

CAD : Les adultes cherchent à encourager la lecture et le rapport positif aux livres, car ils pensent que c’est important. As-tu une proposition à faire pour des enseignant·e·s qui voudraient proposer ce livre en classe ? Qu’est-ce qui pourrait intéresser les enfants de ton âge ?

Matias : On peut s’immerger dans le livre et se mettre à la place de Lila. Parfois à l’école on lit des livres inventés, classiques ou qui sont loin de nos vies. Ici, je lis ce qu’un adolescent pourrait vivre, même s’il ne va pas survivre avec son père.

Pour les enseignant·e·s, on pourrait avoir ce livre en français dans toutes les classes du secondaire I, dans le coin bibliothèque. Il y a parfois aussi des enfants qui ne vont pas bien. Ce livre fait du bien. Mais c’est un livre qui se lit seul et qui n’est pas pour une lecture suivie où nous lisons tous en même temps le même passage. On doit avoir le temps de s’attarder sur les passages qui nous font réfléchir. On doit pouvoir choisir le rythme. À l’école parfois ça va vite. On pourrait avoir deux périodes où on lit seul, et après, on est libre de le lire en dehors de l’école.

CAD : J’ai la même question à t’adresser pour les bibliothécaires ? As-tu une proposition à leur faire par rapport à ce livre qui pourrait intéresser les enfants de ton âge ?

Matias : Le livre est simple à lire. Des personnes qui lisent ou qui ne lisent pas peuvent avoir de l’intérêt à le lire. Il est pour tout le monde et même les adultes. Mais à partir de 11 ans, c’est bien choisi, car avant les questions de séparation, je ne sais pas si on les aborde comme ça. Les adultes peuvent aussi se rendre compte comment un enfant vit ces situations. Les deux cents pages se dévorent. On lit et on veut savoir ce qui se passe avec son père après chaque page. Quand on commence, on ne s’arrête plus.

Pour donner envie, je ferais des photocopies de certains passages. Le moment où la fille se questionne. Un passage qui donne envie de connaître la suite et qui est aussi drôle.

CAD : Et est-ce qu’il y aurait quelque chose qu’il ne faudrait surtout pas faire ?

Matias : Il ne faut pas poser des questions dont on doit partager les réponses avec l’enseignant·e ou les élèves. On peut poser des questions pour nous aider à réfléchir mais on n’est pas obligé d’y répondre et on peut garder les réponses pour soi. C’est un livre qui parle à soi-même. Si je dois partager, je réponds quelque chose de conforme. Si je ne suis pas obligé de répondre, je peux être touché. À l’école, il y a toujours des attentes.

Et en plus, ce n’est pas un livre qui permet d’avoir des réponses justes ou fausses. On ne vérifie pas une compréhension qui doit être la même.

Eva Roth, Survivre avec mon père, © La joie de lire, 2023.

CAD : Alors, pourquoi survivre avec son père ?

Matias : Il y a aussi une aventure où le papa et Lila vont être solidaires et s’entraider. Ils vont survivre, mais on est du point de vue de Lila. Il y a aussi deux personnes qui souffrent du départ de cette maman morte et qui finalement comprennent que c’est la vie.

Chronique rédigée par Carole-Anne Deschoux, professeure associée HEP Vaud et par Matias.