Rencontre avec Thomas Lavachery

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A l’occasion de l’édition 2019 de la Bataille des Livres, l’Unité de Recherche et d’Enseignement en Didactique du français de la HEP-Vaud a invité, sous l’impulsion de Claude Burdet, dans le cadre d’un séminaire de dernière année de formation initiale, un certain nombre d’écrivains jeunesse.

Voie Livres est parti à la rencontre de l’un d’eux, Thomas Lavachery, auteur prolifique, multifacettes et lauréat de plusieurs prix littéraires, pour l’interroger sur son travail de création et sur la place de la littérature jeunesse dans l’enseignement.

  © couverture et illustration généreusement transmise par l’auteur

 

Voie Livres : Pour commencer, j’ai envie de faire découvrir votre œuvre à celles et ceux qui ne vous connaitraient pas avec votre dernier ouvrage Rumeur, dont vous avez réalisé le texte et les illustrations. Le titre et la couverture sont pour le moins intrigants ! En quoi cet ouvrage est-il représentatif de votre travail et en quoi est-il spécifique ? Le rapprocheriez-vous d’autres de vos livres jeunesses ?

Thomas Lavachery : Le protagoniste de Rumeur, l’Indien Tarir, est timide, peu sûr de lui, et cela lui empoisonne l’existence. J’ai souvent mis en scène des héros qui démarrent très mal dans la vie, comme Bjorn le Morphir et Ramulf. C’est presque une marque de fabrique.

La particularité de Rumeur tient surtout, je pense, dans son enfantement. Jusqu’ici, je commençais toujours par inventer une intrigue et des personnages. La thématique se dessinait en cours d’écriture, d’une manière essentiellement inconsciente. Dans Bjorn aux armées, le pouvoir est l’un des sujets principaux. Or je n’en avais pas l’idée au départ. On peut trouver quelques informations supplémentaires à ce sujet notamment sur https://www.youtube.com/watch?v=9P0IdpR-X2I

Avec Rumeur, pour la première fois, j’avais le thème avant tout le reste. J’ignorais jusqu’au cadre du récit mais je savais que mon prochain livre traiterait de cette peste sociale qu’est la rumeur. La circonstance explique sans doute pourquoi le livre est plus court que mes autres romans : sa conception a été plus intellectuelle, plus contrôlée.

 

VL : D’autres de vos récits, articulés autour des personnages de Tor ou de Bjorn le Morphir, fonctionnent à la manière de sagas. Qu’est-ce qui a motivé ces deux « mises en série » ?

TL : En rédigeant le premier tome des aventures de Bjorn, j’ai très vite compris que je tenais quelque chose. J’habitais cet univers avec un bonheur que je n’avais jamais connu auparavant, dans mes expériences précédentes. Non seulement je sentais mes personnages d’une façon nouvelle et puissante, mais en plus je prenais un plaisir immense à les faire vivre – à vivre en leur compagnie. Ma jouissance de créateur est la principale raison de cette « mise en série », et la réponse vaut pour Bjorn, Tor et Jojo de la jungle.

 

VL : Votre création trouve ses premières sources dans la BD belge et dans vos débuts dans le monde du cinéma. Avec le recul, diriez-vous que c’est toujours le cas ? Quelles autres influences identifiez-vous dans votre travail d’écriture ?

TL : Mes passages dans la BD et le cinéma m’ont apporté la conscience qu’un art est d’abord un artisanat. Lorsque, adolescent, j’allais montrer mes planches à Albert Blesteau et Daniel Kox, deux dessinateurs de chez Spirou qui habitaient près de chez moi, ils me donnaient des conseils techniques. Quand, quelques années plus tard, un ami réalisateur m’a conseillé de lire La dramaturgie, d’Yves Lavandier, j’y ai trouvé des outils précieux qui me servent dans ma pratique de romancier. « Écrire est aussi un métier », titrait un article de L’Obs sur l’enseignement de l’écriture créative. Je pense que c’est vrai.

S’agissant maintenant de mes influences, elles sont plutôt à chercher dans mon domaine privilégié, le roman. Parmi les auteurs qui m’ont nourri et influencé, je citerais Dumas, Stevenson, Conrad, J.M. Falkner, Jack London, Sigrid Undset, Selma Lagerlöf, Jules Verne, Patrick O’Brian, Robert Merle… Vous voyez que l’aventure domine largement et que le fantastique est relativement peu présent, n’étant illustré que par Stevenson avec Docteur Jekyll, Dumas avec Pauline et Selma Lagerlöf avec Le merveilleux voyage de Nils Holgersson.

Que des auteurs morts, vous l’aurez noté. Je lis aussi Vargas Llosa, Joyce Carol Oates, Jim Harrisson, Echenoz et bien d’autres auteurs d’aujourd’hui, mais en tant que romancier d’aventures, mes influences les plus marquantes sont anciennes.

VL : Aimez-vous les catégories littéraires ? Qualifieriez-vous vos récits de fantastiques ou de merveilleux ?

TL : Je ne suis pas follement intéressé par les catégories littéraires, je l’avoue. Je me définis comme un romancier d’aventures qui assaisonne ses récits d’une dose plus ou moins élevée de surnaturel. Dans Rumeur, le fantastique est presque absent.

 

© Rumeur, illustrations généreusement transmises par l’auteur

 

VL : En Suisse romande, ces deux grands genres littéraires sont encore assez peu enseignés, malgré un plan d’études qui les mentionnent explicitement et des recherches qui les démocratisent de plus en plus dans la sphère littéraire. Pourquoi est-ce important de lire du fantastique ou du merveilleux en particulier dans les classes ?

TL : Dans l’absolu, je ne dirais pas qu’il est important de lire du fantastique ou du merveilleux. On peut être un lecteur comblé sans ouvrir un Tolkien ou un J.K. Rowling. Lire des romans est essentiel, en revanche (c’est du moins mon avis), car c’est une façon irremplaçable d’enrichir nos vies, de multiplier notre expérience.

Si, pour certains jeunes, le fantastique (au sens large) est un genre privilégié, il faut absolument lui faire une place à l’école. C’est une question de respect envers nos têtes blondes. Par ailleurs, le domaine est passionnant, riche. Il compte d’authentiques chefs-d’œuvre tels que À la croisée des mondes, de Phillip Pullman.

VL : Si vous deviez expliquer à des enfants ce qui fait selon les qualités d’un superhéros, lesquelles choisiriez-vous ?

TL : Figurez-vous que je suis un ennemi déclaré des superhéros ! J’aime les héros qui ont des failles, des défauts, des doutes, une psychologie contrastée et des pouvoirs limités. Bref, une dimension avant tout humaine. L’un des grands modèles, à ce niveau, est le capitaine Hornblower, le personnage de C. S. Forester. La plus grande qualité d’un superhéros serait donc, pour moi, de ne pas mettre un pied dans mes histoires !

VL : Vous enseignez les ateliers d’écriture. Qu’est-ce qui anime chez vous une telle pratique de formation ?

TL : J’aime transmettre. J’ai la fibre pédagogique, même si j’ai un peu tâtonné au début, avec mes cours à l’Université Charles de Gaulle (Lille 3)… Il y a ce que je peux apporter aux étudiants, et il y a ce que je m’apporte à moi-même en réfléchissant sur mon métier. Préparer mon cours, l’amender, le compléter d’année en année, me force à porter un regard analytique sur le travail de romancier. Je me plonge avec ravissement dans les textes d’écrivains sur leur cuisine personnelle, leur technique, et j’apprends énormément. Si je devais citer un seul livre sur l’art d’écrire, ce serait La création chez Stendhal, de Jean Prévost. Il existe peu de textes aussi pénétrants sur le sujet. Jean Prévost est un peu oublié aujourd’hui, en dépit des efforts de Jérôme Garcin. C’était pourtant un esprit génial, vigoureux en diable. Sur l’enseignement de l’écriture, il a écrit ceci, qui mérite d’être médité : « Pour deviner, pour situer les problèmes de la création littéraire, il faut en avoir pratiqué soi-même les difficultés. Un simple forgeron est un meilleur guide, pour le débutant en ferronnerie, que le plus éminent critique d’art. Un écrivain, même médiocre, sent mieux que le plus grand critique la difficulté réelle d’occuper la scène d’un théâtre, de « traiter » telle ou telle histoire, de remplir, en paraissant neuf et facile, un cahier de papier blanc[1]. »

 

[1] Jean Prévost, La Création chez Stendhal, Paris, Gallimard, coll. Idées, 1974, p. 23.

 

Chronique publiée le 6 mai 2019

Entretien réalisé par Vincent Capt, chargé d’enseignement en Didactique du français, vincent.capt@hepl.ch