© Ellie Irving, L’Effet Matilda, Castelmore.

« Vous voyez, ma grand-mère est une brillante scientifique, sauf qu’au départ je n’en savais rien. Et cette histoire parle de notre acharnement, même quand on a eu l’impression que le monde entier était ligué contre nous. Et elle parle de moi. Je m’appelle Matilda Moore. J’ai douze ans, je vis à Arnos Yarm, un ennuyeux petit village d’Angleterre, et je suis inventeuse. Ravie de faire votre connaissance. Ceci est le récit de deux jours déments, électrisants et fantastitouflants (c’est moi qui ai inventé ce mot. Je vous avais bien dit que j’étais une inventeuse !) que j’ai passé en compagnie de ma Mamie Joss. »

© Extrait de Ellie Irwing (2017). L’effet Matilda. Editions Castelmore.

Le décor de L’effet Matilda est posé par la narratrice éponyme dont on pourrait résumer les caractéristiques principales ainsi : fan de sciences, pétillante d’inventivité et allergique à l’injustice. Le texte d’Ellie Irving s’inscrit dans la filiation des plus extravagants romans d’aventures : au-delà du plaisir que les lecteur·rice·s éprouveront à suivre Matilda dans ses pérégrinations, c’est aussi à une perspective confidentielle de l’Histoire des sciences – et à la manière dont celle-ci se construit – que cet ouvrage les sensibilise.

Matilda, un personnage entre originalité et stéréotypie

Le personnage de Matilda possède des qualités propres aux héroïnes. Courageuse et inventive, elle est animée par une fibre égalitaire cultivée au gré de ses expériences douloureuses et de ses déconvenues : au début du récit, parce qu’on la soupçonne d’avoir triché, (parce qu’on se dit qu’une fille ne pourrait pas avoir construit une invention aussi aboutie sans aide extérieure), elle se verra éliminée d’un concours de sciences qu’elle pensait remporter. Mais c’est une autre injustice qui constitue véritablement l’élément déclencheur de l’intrigue : la non-reconnaissance d’une découverte fondamentale réalisée par sa grand-mère dans sa jeunesse, alors qu’elle travaillait dans un laboratoire d’astrophysique, à l’époque où les apports des femmes dans la construction des savoirs scientifiques étaient minorisés de manière quasi systématique. C’est ainsi que Mamie Joss raconte cet événement :

« J’avais étudié les ondes radio d’un amas d’étoiles dans un autre système solaire, et un soir, tard, j’ai découvert XT28E. C’était une étoile qui ne se comportait pas comme celles qui les entouraient. J’en ai parlé au professeur Smocks le lendemain matin, mais il a pensé que ça ne voulait rien dire. Je n’étais pas d’accord, je me disais que ce n’était peut-être pas qu’une simple étoile, mais c’étaient les années 1960 ; on n’avait pas encore inventé de technologie capable de voyager dans l’espace pour en apprendre davantage. J’étais certaine qu’un jour, une sonde pourrait parcourir la distance nécessaire, donc j’ai effectué les calculs, tracé son parcours et trouvé l’équation qui rendrait tout ça possible. J’ai montré toutes mes recherches à Smocks, qui a paru plus intéressé que la fois précédente et qui m’a dit qu’il vérifierait tous mes calculs. Avant que j’aie eu le temps de me retourner, tous les journaux affirmaient que c’était lui qui avait découvert XT28E. »

© Extrait de Ellie Irwing (2017). L’effet Matilda. Editions Castelmore.

À l’annonce de la remise du prochain Prix Nobel de physique au professeur Smocks, qui avait nié l’importance de la future Mamie Joss dans la découverte de cette exoplanète, Matilda convainc son aïeule de réparer l’injustice réalisée il y a plus de 50 ans. C’est le début d’une suite d’aventures qui mèneront Matilda et sa grand-mère dans un périple extraordinaire en direction de Stockholm.

Le personnage de Matilda, au-delà de ses attributs hors normes, est aussi tristement ordinaire : la considération qu’on lui témoigne est teintée d’un regard genré. On comprend qu’aux yeux de certains autres protagonistes, sa condition de fille la prive d’un certain nombre de possibles. Le roman résonne donc comme le rappel d’une réalité de nos sociétés occidentales où l’égalité entre hommes et femmes n’est pas encore réalisée et demeure un combat quotidien. Le roman travaille d’ailleurs à un respect et à une confiance égale entre les sexes de plusieurs manières : d’abord, en mettant en lumière des mécanismes délétères de disqualification des femmes, ensuite, en transmettant aux lecteur·rice·s des informations sur des femmes qui ont eu un rôle important dans l’histoire de sciences, soit en intégrant ces éléments dans le récit, soit en les abordant dans le dossier annexe au récit, dans le paratexte.

L’effet Matilda, un phénomène observé et décrit par des historien·ne·s et des scientifiques

Ces ouvertures positives sur les accomplissements historiques et scientifiques des femmes contrebalancent le phénomène évoqué par le titre du roman. L’« effet Matilda » a été identifié en 1993 par Margaret W. Rossiter, une historienne des sciences qui constate le fait suivant : lorsqu’une découverte scientifique est réalisée par une femme, il existe une tendance à dénier ou à minimiser la contribution de celle-ci à l’innovation en question et à attribuer son travail à un collègue masculin. Rossiter nomme cette théorie en référence à la militante féministe américaine du 19e siècle, Matilda Joslyn Gage, qui avait remarqué que des hommes s’attribuaient certains raisonnements émis par des femmes, cantonnant ces dernières à des remerciements placés en notes de bas de page dans une publication. L’effet Matilda se produit également en cas de découvertes simultanées, réalisées par une femme et un homme, où seul le nom du découvreur – et non de la découvreuse – est retenu par l’histoire. Or, cet usage est amplifié par des pratiques à l’œuvre à plus grande échelle encore, où les noms de femmes scientifiques sont omis dans les annuaires ou les ouvrages de référence des disciplines, mais également dans les médias citant de préférence uniquement les noms masculins.

Des résonances à l’École

À l’école, on sait aujourd’hui que la crainte face aux mathématiques détourne de nombreux élèves des filières de formations conduisant aux métiers techniques et scientifiques. Les chiffres révèlent que, proportionnellement, plus de filles sont impactées par l’image négative associée aux disciplines scientifiques. Une étude réalisée à l’Université de Chicago en 2010 suggère que les enseignantes des degrés primaires pourraient transmettre à leurs élèves de sexe féminin leur anxiété et leurs stéréotypes au sujet des mathématiques – à savoir, «les filles sont meilleures en lecture et les garçons en calcul »[1]. À l’issue du protocole, les chercheur·se·s ont observé que les filles qui avaient adopté les stéréotypes de leur enseignante ont obtenu de moins bons résultats en mathématiques, alors que les performances des filles en mathématiques étaient comparables à celles des garçons en début d’année. Sian Beilock, professeure en psychologie à l’Université de Chicago et autrice principale de l’étude, précise que l’anxiété des enseignantes par rapport aux mathématiques affecterait non seulement la confiance des filles dans cette matière, mais aussi dans des matières connexes comme les sciences et la technologie. Ses travaux mettent enfin en lumière que les stéréotypes de genre sur les disciplines scientifiques sont également véhiculés par la famille, la société, et que l’école n’est qu’un rouage de ce mécanisme.

Au-delà de rappeler le mérite des femmes dans les découvertes scientifiques, le roman d’Irving cherche également à donner envie aux jeunes filles d'étudier et de pratiquer les sciences. À donner envie d’oser.

En lecture suivie ou en lecture offerte, L’effet Matilda pourra intéresser bien des enseignant·e qui choisiront la modalité qui leur semble la plus appropriée : voici quelques idées d’exploitation du roman en classe ou des prolongements possibles, inscrites dans les différentes disciplines scolaires. Déjouons les stéréotypes. Ouvrons nos imaginaires. Pour les filles et les garçons.

FRANÇAIS
  • Découverte de l’ouvrage en observant la première de couverture
  • Rédiger la biographie des scientifiques de l’ouvrage.
  • Rédiger la description d’un projet pour le concours de la meilleure invention.
  • Mettre les élèves à la place des personnages dans certaines situations du livre et leur demander d’expliquer ce qu’elles ou ils feraient.
  • Rédiger les portraits des personnages du livre.
  • Débattre sur certains sujet (la femme en politique, les couleurs de vêtements en fonction du sexe, ...)

Proposition 1 : Découverte de l’ouvrage en observant la première de couverture

 Activité 1 :

- Montrer aux élèves la première de couverture en cachant le titre.

- Demander aux élèves de décrire les personnages.

- En fonction des réponses proposées, questionner les élèves sur le genre du jeune personnage (Pourquoi ont-ils pensé que c’était un garçon ?)

Activité 2 :

- Demander aux élèves de lister les disciplines scientifiques représentées sur la couverture.

Activité 3 :

- Grâce aux indices présents sur la couverture, les élèves peuvent imaginer la vie des personnages de cette histoire ainsi que les thèmes abordés dans le livre.

ARTS VISUELS
  • Restituer sous forme de croquis une des inventions de Matilda décrite page 11 en expérimentant diverses techniques.
  • Représenter ou exprimer une idée de projet à présenter au concours.
GÉOGRAPHIE
  • Retracer le trajet de Matilda et Mamie Joss sur une carte.
  • Retracer le trajet des parents de Matilda.
  • Rechercher des exploratrices et aventurières célèbres et retracer leur parcours sur une carte.

Proposition 2 :  Retracer le trajet de Matilda et des parents

- Distribuer une carte de l’Europe vierge aux élèves. Ils cherchent et identifient la Suisse.

- Les élèves nomment et identifient les pays traversés par Matilda et Mamie Joss.

- Placer les villes suivantes sur la carte : Arnos Yarm, Douvres, Calais, Criel-sur-Mer, Hambourg, Utrecht, Køge, Malmö, Lund, Skövde, Mariestad, Kumla, Katrineholm, Flen, Stockholm.

- À l’aide des villes placées et du livre, les élèves retracent le circuit de Matilda puis celui de ses parents. Il est possible d’utiliser des couleurs différentes en fonction des moyens de transport utilisés.

HISTOIRE
  • Classer dans l’ordre chronologique les découvertes des scientifiques.
  • Placer ces découvertes dans un contexte historique.
SCIENCES
  • Réaliser les 3 expériences proposées à la fin du livre (pages 307, 311 et 313).
  • Réaliser les expériences sur l’Astronomie proposées à la fin du livre (pages 343 et suivantes).
TRAVAIL SUR LES STÉRÉOTYPES DE GENRE
  • Différentes activités peuvent être menées en classe pour discuter de ces stéréotypes à l’aide de la brochure « L’école de l’égalité » : https://egalite.ch/projets/lecole-de-legalite/.
Note

Les enseignant·e·s vaudois·e·s ont la possibilité de commander le roman L’effet Matilda à la DAL (Direction des Achats et de la Logistique).

Chronique rédigée par Sonya Florey, professeure ordinaire HEP (sonya.florey@hepl.ch) & Céline Magnat (celine.magnat@vd.ch), collaboratrice pédagogique au Département de l’Enseignement et de la Formation professionnelle du canton de Vaud.

[1] Beilock, S. L., Gunderson, E. A., Ramirez, G., & Levine, S. C. (2010). Female teachers' math anxiety affects girls' math achievement. Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America107(5), 1860–1863. https://doi.org/10.1073/pnas.0910967107