Dans la forêt des contes avec Hänsel et Gretel

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« Knuper, knuper, Kneischen, wer knupert an meinem Häuschen ! » ; « Grignotti, grignotta, grignotons ; Qui grignote ma maison ? »… Cette célèbre ritournelle d’apparence inoffensive, et presque bienveillante, introduit pourtant l’un des personnages les plus terrifiants d’un patrimoine oral amplement partagé : la sorcière-ogresse, celle qui kidnappe les enfants, et les fait engraisser pour mieux les manger. Cette figure monstrueuse de Hänsel et Gretel est à l’image d’un conte, cruel, qui balaye tout un champ de désolations : la pauvreté et la faim, la maltraitance, la violence parentale, l’abandon, la séquestration… Des thèmes inépuisables pour les auteur·e·s et illustrateur·ice·s contemporain·e·s qui s’emparent de ce récit dans des partis pris toujours assumés.

Un conte symbolique

Hänsel et Gretel fait partie des Kinder-und Hausmärchen (Contes de l'enfance et du foyer) réunis et réécrits par la plume érudite et passionnée de Jacob (1785-1863) et Wilhelm Grimm (1786-1859). Ce recueil a paru en Allemagne en deux volumes (1812 et 1815) ; six rééditions lui succédèrent du vivant des Grimm (la dernière en 1857) dans lesquelles ils remanièrent les versions de ces contes populaires. Aujourd’hui, la somme intitulée en français Contes des frères Grimm ou Contes de Grimm contient 201 histoires et figure au Registre international Mémoire du monde de l'UNESCO. Dans ces épopées, des personnages désormais célèbres répondant aux noms de Raiponce, Cendrillon, Dame Holle, Le Petit chaperon rouge, et une fratrie un peu particulière, celle d’Hansël et Gretel.

« A la lisière d’une forêt

… Vivait un pauvre bûcheron avec sa femme et ses deux enfants ». En pleine disette, l’homme se laisse convaincre par sa femme : demain, oui, il abandonnera ses deux enfants, Hänsel et Gretel, dans la forêt. Ayant eu vent de ce macabre projet, Hänsel prépare un sac de cailloux qu’il dépose au gré du chemin. C’est ainsi que les enfants, abandonnés, retrouvent la route jusque chez eux. Mais la femme réitère sa proposition et le bûcheron, de nouveau, ne sait lui faire face. Hänsel sème, cette fois, des miettes de pain, hélas, mangées par les oiseaux.

Désespérés, les enfants suivent un « joli petit oiseau blanc » qui les mène à une maison « faite de pain et recouverte de gâteau ». La femme qui y habite, les invite à entrer… et emprisonne Hänsel dans une cage : elle le dévorera une fois qu‘il aura été engraissé par les plats préparés par Gretel. Parce que « les sorcières ont des yeux rouges » et qu’elles « voient mal », Hänsel peut lui présenter, chaque jour, à la place de son doigt, un os de poulet.

Au bout de quatre semaines, l’ogresse, excédée, décide néanmoins de le manger. Grâce à sa fausse naïveté, Gretel parvient à pousser la sorcière dans le four. Libérés, les deux enfants s’accaparent ses richesses, s’enfuient, traversant au passage une rivière sur le dos d’un canard blanc. A la maison, ils retrouvent leur père (« sa femme était morte ») qui « n’avait pas connu un seul instant de joie » depuis leur disparition.

Les contes ont fait l’objet d’interprétations et analyses poussées. Bruno Bettelheim (1903-1990) et d’autres ont entrevu leur puissance symbolique et proposé quelques clés de lecture. Ainsi dans Hänsel et Gretel les lieux sont-ils des archétypes : la forêt apparaît comme le terrain des fantasmes et de l’inconscient ; la maison comme une métaphore de l’enfance que l’on quitte de force. Les personnages révèlent des motivations obscures : la femme (« die Fraue ») - qui n’est plus une mère (« die Mutter ») depuis que des âmes bien pensantes du XIXe siècle se soient émues de voir une mère se débarrasser de sa progéniture – convainc le père d’abandonner, par deux fois, les enfants. Mais cette cruauté renvoie peut-être à un rôle social, celui de pousser les enfants vers l’autonomie. La sorcière-ogresse, double de la femme (toutes deux meurent à la fin), est celle qui par qui l’initiation a lieu. Quant à Hänsel et Gretel, d’abord indissociables, ils sont séparés de force ; c’est ainsi qu’ils entreprendront leur métamorphose, tuant symboliquement la mère (l’ogresse). Et si le périple, commence sous la contrainte, il s’achève librement avec des enfants devenus maîtres de leur royaume.

Au cœur de ces strates symboliques vibre une émotion : la peur. Celle de mourir de faim, d’être abandonné, de se perdre alors que la nuit tombe, d’être dévoré (par un monstre ou par ses angoisses). On pourra s’intéresser, en premier lieu, au traitement de ces terreurs ancestrales par les auteur·e·s et illustrateur·rice·s d’aujourd’hui.

Montrer la peur

Couronné d’un Caldecott Honor[1], Hänsel et Gretel raconté par Rika Lesser et illustré par Paul O. Zelinsky (Le Genévrier, 2016) est proche de la première version des Contes de l’enfance et du foyer. Le conte apparaît ici dans sa forme primitive, avec une mère revêche, une forêt trop vigoureuse, peuplée de « milliers d’oiseaux des bois », une sorcière se parlant à elle-même. Réalisées à la peinture à l’huile, les images expressionnistes de Paul O. Zelinsky créent un réalisme saisissant et fascinant : tant les objets – ce four à pain enflammé, attendant que l’une (Gretel) ou l’autre (la sorcière) monte sur la planche – que les personnages – les expressions colériques de la mère, terrifiées des enfants, le corps bossu de la vieille femme – sont dramatisés dans un savant jeu de clair-obscur. On pourra, d’abord, recueillir les impressions des élèves, puis chercher les objets d’un autre temps (le pot de chambre, le four, les habits, la charrette…) et inscrire les images dans l’histoire de l’art (la peinture flamande du XVe siècle). Puis, finalement, pointer comment ces choix stylistiques et textuels rendent au conte sa valeur patrimoniale et mettent en exergue les frayeurs éprouvées par les jeunes personnages.

©Paul O. Zelinsky, Hänsel et Gretel, Le Genévrier (page interne)

Couverture du livre de Lorenzo Mattotti, Hänsel et Gretel, ©Gallimard jeunesse

 

Cette version pourra être confrontée à celle de Lorenzo Mattoti (Hänsel et Gretel, Gallimard jeunesse, 2009). Là, les coups de pinceau créent de frêles silhouettes, à peine esquissées, évoluant dans des paysages aussi tourmentés que gigantesques : la forêt, la chambre d’Hänsel et Gretel, la maison de la sorcière. Ce rapport de taille et de force, renforcé par le contraste du noir et du blanc, insiste sur la petitesse des deux héros. Ce n’est qu’au terme de son calvaire que Gretel, grandie peut-être par la lueur des flammes, apparaît clairement et qu’Hansel file sur la rivière à dos de l’oiseau blanc. Le texte de Jean-Claude Mourlevat s’inscrit sur le blanc de la page. On y lit la rudesse et les insultes de la femme du bûcheron, les larmes et l’affliction de ce dernier, le dessein de la sorcière. De sorte qu’aucun répit n’est possible pour les jeunes lecteurs et lectrices : l’angoisse pointe partout, dans les images ou le texte ; la seule l’issue est de poursuivre sa route ou sa lecture. Au jeu des points communs (jeu sur la clarté et l’ombre, recherche d’expressivité…) et des différences (couleur / noir et blanc ; peinture / encre ; soin du détail / stylisation) entre ces deux albums, nul doute que les élèves sauront amener bien des éléments !

Ce qui se passe pour les tout-petits

Hänsel et Gretel de Kimiko (l’école des loisirs, 2003) fait commencer l’histoire dans la forêt où les enfants, deux oursons, se sont perdus. La question de l’abandon est donc évacuée et l’histoire débouche au plus vite sur la maison « couverte de biscuits, de bonbons et de sucre » de la sorcière (une souris). L’animalisation des personnages s’accompagne d’un temps de récit très court, tout se passant du jour au lendemain. L’auteure, par ailleurs, donne à chaque scène une allure de théâtre grâce à un système de pliage.

Dix ans plus tard paraît Hansel le gourmand et Gretel la courageuse (l’école des loisirs, 2014) de Kimiko et Margaux Duroux. Des personnages en feutrine (toujours des animaux) évoluent devant des décors et objets photographiés. Saliver devant la maison en véritables bonbons (« Il en y avait des gros, des petits, des ronds, des berlingots, certains au chocolat, d’autres en forme de fleur, et de toutes les couleurs ») fait partie des grands plaisirs de ce petit livre. D’autant que ce décor apparait sur de multiples pages (même la cage d’Hänsel est appétissante !). Le texte est, lui, réduit à sa plus simple expression.

Ces deux livres posent évidemment la question des limites de l’adaptation (qui reste libre) à un très jeune public (qu’advient-il du conte, de son symbolisme) ? Mais on pourra en profiter pour aborder autrement le récit : les élèves auraient-ils et elles goûté la maison ? La gourmandise est-elle un défaut ? En quoi Gretel est-elle courageuse ? On pourra également comparer la fin des deux récits : dans le premier, Gretel pousse la sorcière dans le four ; dans le second, elle l’assomme avec un sucre d’orge. Quelle version préfèrent-ils ?

©Kimiko et Margaux Duroux, Hänsel le gourmand et Gretel la courageuse, l’école des loisirs

 

Sur la voie du symbolisme

Si les artistes d’aujourd’hui savent si bien restituer l’ambiance angoissante des contes, c’est qu’ils connaissent, certainement, les épaisses strates de non-dits sur lesquels ils se construisent. Dans Jeannot et Margot (Grasset, 1983), Monique Félix convoque ainsi un univers terrifiant au double niveau de lecture. L’aquarelle révèle le regard successivement affolé, étonné, terrifié de Gretel, mais montre aussi celui de l’ogresse, étrange double, nymphe à la chevelure tressée d’os, moins vieille que ne le prétend le texte. Cette figure quasi surréaliste interroge les liens troubles entre ces deux figures féminines. Que se passe-t-il entre Gretel et la sorcière ? Peut-elle être une part d’elle-même qui se révèle aussi effrayante que puissante ? L’observation pourra aussi se focaliser sur la présence de deux oiseaux : l’un dans l’image, marionnette de chiffon, doudou d’Hansel ; l’autre, parfaite réplique du doudou placée en frontispice, qui peu à peu se métamorphose, prend vie… et s’envole.

Cette voie symbolique est aussi arpentée par Sybille Schenker (Minedition, 2011) qui intègre des jeux de papier sur fond noir. Le calque, d’abord, profère aux lieux arpentés par les enfants une profondeur insaisissable. La forêt obscure cristallise les peurs mais révèle aussi ses secrets : les enfants doivent, pour grandir, s’aventurer derrière les ombres transparentes et fantastiques, c’est là qu’ils se trouveront eux-mêmes. Puis, à mi-parcours, des papiers de couleur s’invitent : un patchwork de motifs orne la maison de la sorcière, les habits se colorent eux aussi. Si le noir reste omniprésent en ce lieu, il semble empreint d’une certaine force : ici, la vie brille, elle est feu, elle est pièces d’or. A se demander si les enfants n’ont pas autant à craindre mais plus à gagner ici… que chez eux ? D’autant que, Sybille Schenker, dote la sorcière et la mère d’un même profil, des mêmes mains griffues… Echapper à la sorcière serait donc échapper à la mère, et revenir riches d’une certaine liberté ?

Illustration extraite de Hansel & Gretel par Sybille Schenker © minedition

 

Susanne Janssen pousse le symbolisme encore plus loin avec son Hänsel et Gretel (Etre, 2007). Il faut lire l’article d’Anna Castagnoli dans la « Revue des livres pour enfants » pour saisir le sous-texte des images. Cette dernière montre comment l’image d’ouverture – un cerf blessé à mort d’une flèche – « résume magistralement, en une parole, tout le livre, Hänsel et Gretel également devront affronter les rapports de force et d'équilibre qui gouvernent le monde intérieur et ses pulsations persécutoires ». Elle relève la figure du bûcheron martyr, le regard froid de la femme pointé sur les « freaks », ces deux enfants jumeaux, quasi siamois, aux corps enchevêtrés qui devront apprendre à se séparer… Dans cette incroyable interprétation, Susanne Janssen rappelle que grandir, c’est se perdre, que forte est la tentation de régression avant la métamorphose. Quant à la maison en pain d'épices, elle ressemble à une prison. Toujours selon Anna Castagnoli, les enfants, yeux fermés, semblent préférer rester dans ce lieu, soumis, sans responsabilité. Mais Gretel, finalement, osera se défaire de ce dernier lien…

Couverture de Hänsel et Gretel de Susanne Janssen (©Etre)

Couverture de Jeannot et Margot (©Grasset) de Monique Félix

 

Pour appréhender ces symbolismes avec les élèves, une première approche consisterait à comparer les techniques d’illustration (peinture, calque, collage) puis les ressentis qu’elles créent, avant d’entrer dans les détails des images.

La stylisation

Découvrir la version de Rascal (Hänsel et Gretel, Pastel, 2015) offre l’expérience d’une lecture silencieuse (puisqu’ici il n’y a pas de texte). On pourra ensuite discuter : les élèves ont-ils reconnu le conte dont il s’agit ? Puis, faire émerger des observations : l’utilisation stricte du noir et du blanc, l’architecture de la maison et la typographie qui renvoient à des styles traditionnels allemands, la stylisation à outrance (logos) des personnages, la taille démesurée de la sorcière par rapport à sa maison… Enfin, questionner ce parti pris : qu’a cherché à faire l’auteur ? Emettre des hypothèses (dépouiller l’histoire jusqu’à son squelette, tester l’universalité du conte par la force du symbole) et poursuivre la discussion : le conte fait-il encore peur ?

Ce livre pourra être mis en réseau avec Hänsel & Gretel de Kveta Pacovska (Minedition, 2008). Tout comme dans La petite fille aux allumettes (2005) et le Petit Chaperon rouge (2006), l’artiste joue d’images changeantes. Par ses formes simples, géométriques, découpées, elle invite à emprunter de nouveaux chemins, parsemés de collages, papiers miroitants, sur des fonds noirs, parfois blancs, venus – comme toujours chez la plasticienne tchèque – soutenir le rouge. Le rouge des yeux et chaussures de la sorcière, des silhouettes de loup dessinées au trait. L’expressivité de l’artiste, qui ne cherche pas à raconter mais à faire ressentir, contraste avec le minimalisme de Rascal.

 

Illustration extraite de Hansel & Gretel par Kveta Pacosvska © minedition

Transposition dans le temps

La portée symbolique traverse nombre de livres qui, en même temps, vérifient la modernité de ce récit. Que se passerait-il si les enfants vivaient à une autre époque, l’Angleterre du XXe siècle par exemple ? C’est la thèse examinée par Anthony Browne (Hänsel et Gretel, Kaléidoscope, 2009) : alors que le texte reste proche de la version d’origine, les images s’inscrivent dans une époque qui évoque le thatchérisme. En classe, on pourra détailler les éléments qui évoquent une pauvreté et un délabrement aussi extrêmes (ampoules au plafond, papier peint décollé, rideaux troués, habits usés) que contemporains (la maison en brique, la télévision, l’électricité…). En ces temps modernes si durs, les pères lisent les petites annonces dans les journaux ; les belles-mères fument et s’habillent d’un manteau léopard ; et les sorcières s’embourgeoisent. Par son sens du détail, Anthony Browne rend les bois terrifiants – sur les arbres et souches, des mains griffues, des entassements de corps d’animaux – mais glisse aussi des indices d’un autre ordre : même balai dans les deux maisons, même posture des deux femmes devant la porte, mêmes pointes de rouge (le vernis et les escarpins de la marâtre, le bijou de la sorcière)... Et que dire de cette ombre coiffée d’un chapeau pointu (cf. images ci-dessous) ? L’illustrateur s’approprie totalement le conte tout en le décadrant temporellement. Ce faisant, le récit n’en devient pas moins effrayant car le danger se rapproche de nous…

Anthony Browne, ©Kaléidoscope, 2001

Anthony Browne, ©Kaléidoscope, 2001

 

Cette proximité temporelle des personnages et des jeunes lecteurs et lectrices est également au cœur de la proposition, théâtrale cette fois, d’Alice Zeniter (Actes Sud –Papiers, 2018). Dans une ville américaine en plein crise économique, la sorcière – profiteuse, obsédée par l’argent – vend les organes des enfants qu’elle capture et dévore leurs restes. Elle habite une maison au toit texan, recouverte de biftecks, au cœur d’un quartier convoité par les promoteurs immobiliers. Les deux enfants fuiront les trottoirs défoncés de ce lieu infâme pour revenir en bus chez eux, mais la belle-mère, ayant assommé le père avec la bouteille de ketchup, les obligera à y retourner… Dans cette œuvre, le décalage temporel s’accompagne d’une langue qui retrouve l’oralité, au plus près de nos réalités.

Impossible de parler théâtre sans évoquer Suzanne Lebeau. Son titre Gretel et Hänsel (Actes Sud - Papiers) renverse un certain ordre et, ce faisant, révèle l’enjeu de son écriture : mettre en mots le désir puissant mais culpabilisant d’être l’unique enfant, de voir disparaître ce petit frère dont la simple existence insupporte. Tout en restituant la trame du conte, l’auteure québécoise interroge la fratrie, lui fait, littéralement, passer l’épreuve du feu et du temps. Dans ce texte rétrospectif où alterne la parole des deux enfants surgit le personnage contemporain de Gretel qui visite sa place d’aînée, de femme, qui aura, à un moment, droit de vie ou de mort sur son frère.

Dans cet aller-retour entre théâtre et album, faisons aussi figurer Marcel et Gisèle de Natali Fortier (Le Rouergue, 2015). Ici, l’oiseau blanc devient un grand échassier appelé « Bon Bec », la sorcière prend les traits d’Armande, chanteuse à la voix perdue. Le texte, écrit dans une forme théâtrale et profitant des richesses de la langue québécoise, dialogue avec des images aux couleurs acidulées dans un univers féérique et, finalement, bienveillant.

 

Le livre-objet

Comme tant d’autres contes, Hänsel et Gretel a inspiré des ingénieurs papier qui pratiquent la magie du pop-up.

L’un des maîtres de cette discipline, Vojtech Kubasta (1914-1992) a ainsi déployé les décors de La chaumière de pain d’épice (chez Artia, 1970, pour la version française). L’artiste tchèque y soigne tant les couleurs, chaleureuses et lumineuses, que les détails du décor (le soldat de bois, les friandises accrochées partout, la petite table dressée) ou encore l’expression des personnages, animaux et humains, effrayés ou effrayants. Plus encore ses plis et contre-plis permettent aux images de sortir de la page, comme si le conte voulait littéralement s’extraire du livre. La forêt s’étoffe de passages secrets, la maison de la sorcière se dote d’une belle architecture (escaliers, véranda, fenêtre), la cage d’Hänsel se matérialise sur le devant de la scène. Plus encore, l’artiste introduit des languettes qui permettent en toute simplicité (mais quel effet !) d’agir sur le récit dans des scènes qui deviennent jubilatoires. De leurs petits doigts, les lecteurs et lectrices peuvent ouvrir et fermer la cage d’Hänsel, aider Gretel à enfourner la sorcière (quelle joie !) ou Hänsel à traverser une cascade sur le dos du cygne.

 

Vojtech Kubasta, La chaumière de pain d’épice, ©Artia, 1970.

 

Plus près de nous, Louise Rowe dans Hänsel et Gretel – Un livre pop-up (Mango, 2010) donne, elle aussi, vie au récit. La forêt parée de verts sombres se déploie sur la double-page prête à engloutir les enfants, la maison en pain d’épices toute dorée s’élève grâce au pli central. Cet album révèle comment des contraintes fortes (nombre de doubles-pages réduit, taille de l’album…) conduit à des choix scénaristiques et éditoriaux (découpage du récit, sélection des scènes à animer). A ce jeu-là, la découverte de la maison de la sorcière s’affirme comme une des moments phare du récit. Dans La délicieuse surprise ou Hänsel et Gretel dans la mélasse (Les Grandes personnes, 2022), elle est même le premier élément du conte à surgir de la page. Philippe UG s’amuse ensuite à faire apparaître successivement Azucar, la sorcière édentée tenant à bout de bras les enfants, sa fabrique infernale de confiseries qui explose dans « une tempête de mélasse, de colorants et produits chimiques » et, pour finir, une pièce montée de fruits et légumes ! On aurait l’envie de faire un pont entre cette histoire, qui prône la nourriture saine, et Hänsel le gourmand et Gretel la courageuse qui attiserait plutôt notre amour des choses sucrées. D’un univers à un autre, ou la magie du livre…

Philippe UG, La délicieuse surprise, ©Les Grandes Personnes.

 

Chronique publiée le 14 juin 2023

Par Cécile Desbois-Müller (cecile.desbois@gmail.com), médiatrice et rédactrice culturelle indépendante

[1] La Caldecott Medal de l’Association des bibliothécaires américains pour la jeunesse honore chaque année un artiste qui a créé un album pour enfants remarquable. En parallèle, et pour ouvrir la sélection, l’association attribue aussi un Caldecott Honor à un·e autre auteur·e.