Une voix à écouter… et à faire entendre

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Entretien avec Maxime Mongeon, éditeur jeunesse chez Leméac

 

Quand on évoque la littérature de jeunesse, on pense souvent aux albums pour la petite enfance, aux bandes dessinées et aux premiers romans s’adressant aux 8-10 ans. Mais la littérature de jeunesse, c’est aussi la littérature pour adolescents, ces jeunes de 14 à 18 ans, qui ne sont plus tout à fait des enfants, mais qui ne sont pas encore non plus des adultes. C’est en pensant à ces jeunes, qu’il a côtoyés en tant qu’enseignant de français au secondaire, que Maxime Mongeon choisit les auteur·e·s qui seront publiés dans la collection jeunesse chez Leméac, collection qu’il a contribué à mettre sur pied et qu’il dirige depuis maintenant 10 ans. Il a accepté avec enthousiasme et générosité de répondre à quelques-unes de mes questions sur ce travail de l’ombre.

De l’enseignant-lecteur à l’auteur-éditeur

Maxime raconte être devenu éditeur « par accident » : « J’avais publié déjà trois romans[1] pour adultes chez Leméac et le directeur éditorial d’alors m’a dit : « T’as été prof au secondaire, tu sais ce que les jeunes aiment lire, accepterais-tu de te charger de développer un secteur jeunesse? ». L’auteur, devenu alors directeur d’une école primaire, n’a pas hésité une seconde et a dit oui. Surtout qu’on lui laissait toute la liberté d’agir en lecteur subjectif et qu’on ne lui donnait comme seule contrainte que celle de faire confiance à son instinct et à son flair. Ce qu’il a, vraisemblablement, vu les nombreux prix littéraires qu’obtiennent, année après année, les titres publiés dans cette jeune collection.

Depuis 2010, ce sont donc 35 romans pour adolescents qui ont été publiés, sans critères particuliers ni ligne éditoriale. « Je demeure – et dois demeurer – un lecteur. Quand j’enseignais au secondaire, raconte-t-il, j’étais souvent perçu comme le prof qui « retroussait » parmi les autres, celui qui ne rentrait pas dans le rang… Je présentais à mes élèves des textes que j’aimais, des textes qui me parlaient. » C’est à ce genre d’enseignant qu’il veut offrir des œuvres différentes, audacieuses, originales à faire lire aux jeunes. « Les autres ont plusieurs autres choix! », dit-il en souriant.

À la recherche d’une voix d’abord

Pour cet auteur-éditeur, aucun thème n’est exclu. « C’est l’écriture qui importe… et la vraisemblance. », précise-t-il. Parce que pour lui, il n’y a pas, d’un côté, une littérature, grande, noble et de l’autre, une littérature de jeunesse. La littérature jeunesse EST littérature. Pas moins bonne ni moins intéressante. Pas plus facile non plus. Et on doit mettre les jeunes en sa présence. Ce qui fait qu’il s’agit d’une littérature dite pour la jeunesse est que les protagonistes sont des ados. « Pas de tranche d’âge n’est donc fixée, chez Leméac, pour cette collection. Que des auteurs qui ont une voix. Une voix audible, accessible et intelligible pour les jeunes. », affirme-t-il avec conviction.

C’est donc d’abord une voix que retient le directeur de collection. C’est d’abord un·e auteur·e qu’il rappelle pour travailler, retravailler, réécrire le texte proposé. « Je reçois plusieurs textes par la poste, mais au départ, je choisis un·e auteur·e, pas un roman, poursuit-il. Une voix, ça se sent, ça se ressent. Je cherche une voix personnelle, authentique, originale. Ensuite, le travail de collaboration, de réécriture commence… et peut durer plusieurs années. » Maxime Mongeon soutient toujours agir comme un lecteur. Il questionne le texte… et l’auteur·e. « Je respecte l’auteur·e et son texte. Je n’impose donc rien, mais je l’amène à réfléchir à son récit par diverses questions, en me plaçant du côté du jeune lecteur ou de la jeune lectrice à qui s’adresse le texte : pourquoi le personnage fait-il ceci? Pourquoi se passe-t-il cela à ce moment-là? » Cette discussion avec les auteur·e·s se passent le plus souvent en face à face, autour d’un café. Pour entendre l’auteur·e parler de son texte, précise-t-il.

Et les sujets plus délicats?...

« Je publie les bons textes, les textes qui me touchent. Pas de censure, pas de textes aseptisés. La seule limite que j’impose : la vulgarité. Tant dans la thématique que dans l’écriture elle-même. » Et quand je lui demande s’il ne craint pas que certains passages ou certains thèmes heurtent les jeunes, leurs enseignant·e·s ou leurs parents, il me répond en riant qu’il contourne généralement cette difficulté en publiant sur la 4e de couverture la phrase ou le passage qui pourrait faire réagir plus fortement. Belle stratégie! « Je ne cherche pas des textes racoleurs, au « gout du jour ». Je veux des textes forts, qui parlent aux jeunes. Les jeunes sont sensibles à l’écriture, pas juste aux histoires, ajoute-t-il. La langue est donc le premier matériau qui me guide. Il faut d’abord que j’aime le texte lui-même, dans sa forme. Ce qui importe, c’est d’être touché. Je n’ai pas besoin de tout comprendre... Les jeunes non plus d’ailleurs!»

Un premier bilan, après 10 ans

Quand je demande à Maxime s’il a des regrets ou s’il pense avoir fait des erreurs en ces 10 années de direction de cette collection jeunesse, il prend le temps de réfléchir. « Des erreurs? Non, finit-il par dire, mais des coups de cœur, oui! Que je me garderai de nommer! » Il est conscient que le fait de n’avoir pas tracé de ligne éditoriale et d’y aller selon ses propres gouts littéraires l’amènent surement à passer parfois à côté d’autres bons textes, mais il assume pleinement cette responsabilité et se dit fier du chemin parcouru. On le serait à moins! Espérons qu’il fera encore œuvre utile pour au moins 10 autres années, au grand bonheur des jeunes lecteurs et des jeunes lectrices… et de leurs enseignant·e·s!

 

[1] Une seconde d'achèvement en 2001; Petite en 2004 et Magnitude 9,0 en 2006.

 

Chronique publiée le 27 avril 2020

Par Suzanne Richard, Professeure invitée en didactique du français, HEP Vaud