Témoignage : Passions, inspirations et rencontres au Festival de Littérature Jeunesse de Vevey 

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J’aimerais commencer cette chronique par vous dire à qui elle s’adresse. Elle est pour toutes et tous les passionné·e·s des mots ; celles et ceux qui aiment les lire, et celles et ceux qui aiment les écouter. Elle est pour tous les passionné·e·s d’images ; celles et ceux qui aiment les dessiner, qui aiment les admirer. Elle s’adresse également à toutes celles et tous ceux qui n’auraient encore que peu découvert la passion de la lecture, ou qui l’auraient perdue en route et chercheraient l’inspiration pour la retrouver.

Cette chronique est une histoire. Elle raconte comment j’ai pu me replonger dans l’enfance et dans mon amour de la lecture, lors d’un weekend de juin 2022 au Festival de littérature jeunesse, le premier à Vevey. En effet, depuis toute petite, j’aime lire. Cette passion a guidé nombreux de mes choix de vie : de mes études en lettres, à une spécialisation en traduction littéraire, à l’enseignement du français dans des classes du secondaire. Pourtant, entre analyse littéraire poussée et leçons à planifier, il m’a été aisé de me laisser porter par le travail et d’oublier ce qui m’a inspiré à choisir ces voies.

 

Affiche du festival © https://festival-litterature-jeunesse.ch/

La nouvelle d’un festival de littérature jeunesse et un trou hasardeux dans mon calendrier m’ont permis de retourner sur les traces de cette passion d’enfance et rencontrer de nouvelles voies d’inspiration. J’ai eu donc le plaisir de pouvoir m’impliquer en tant que bénévole de ce festival.

 

Librairie au Théâtre l’Oriental
© Charlotte Dünner, Vevey (VD) 18 juin 2022

Tout a commencé quelques jours plus tôt par la soirée de rencontre entre bénévoles. L’occasion d’une part, de rencontrer les femmes à l’origine du festival, Violaine Vidal et Nathalie Guisolan et de l’autre, l’ensemble des bénévoles. Je découvre ainsi des gens d’horizons différents, entre bibliothécaires, enseignants, graphistes, conteuses, … tous se retrouvent à travers leur intérêt pour la littérature jeunesse créant ainsi une atmosphère chaleureuse et bienveillante. C’est également en amont du festival que j’ai pu découvrir les lieux choisis pour le weekend : le Théâtre de l’Oriental, la Cour de la Valsainte, la Librairie l’Imprudence, le bord du quai Entre-Deux-Villes et un magnifique jardin privé. Tous proches et fournissant un cadre idyllique au festival. Le premier endroit qui a apporté un air de magie a été le rez-de-chaussée du Théâtre de l’Oriental, lieu de la librairie propre au festival. Le décor a été créé spécialement pour l’occasion par les étudiants du CEPV. Les lettres de couleur réparties sur le sol de l’entrée du théâtre comme si elles étaient tombées des livres suspendus au plafond nous plongeant dans une ambiance féérique.

J’ai pu découvrir cette ambiance lors de la cérémonie d’ouverture. Je me trouve à l’accueil avec la tâche essentielle d’essayer d’éviter que le décor du Théâtre ne soit abîmé. Je me sens d’abord intimidée à l’idée de rencontrer tous ces acteurs et actrices essentiel·le·s au festival, mais je me rends rapidement compte que le ton est aux rires, à l’amitié, et à la rencontre. C’est fascinant pour moi d’être témoin des intérêts que portent ces auteurs et autrices : unanimes, ils ont hâte de rencontrer leur public, les enfants. J’ai également l’occasion de participer à des conversations sur l’emplacement des livres sur les étagères, sur la manière dont leurs livres sont édités, ainsi que des préoccupations et difficultés du fait de pouvoir vivre de son art en Suisse. Les auteurs et autrices tournent autour des livres, admirent le travail des autres et ont de la peine à quitter le calme de la librairie pour monter dans la salle du théâtre où les attend l’apéro et le discours de remerciements. Je ressens à ce moment un intense sentiment de partage, tout le monde se réjouit du weekend.

 

Atelier « Réalise ton Kamishibaï » avec Florence Jenner Metz
© Charlotte Dünner, Vevey (VD) 18 juin 2022

Nous arrivons donc au premier jour du festival. Le samedi je suis à la Cour de la Valsainte. Trois ateliers sont répartis dans la cour ainsi qu’une table mise en place par la Librairie l’Imprudence pour montrer une sélection de livres. Durant les ateliers les enfants peuvent explorer leur créativité au travers du dessin et de l’écriture. Ils et elles sont encouragé·e·s à apprendre, à essayer des choses, à se laisser porter par leur inspiration. En dehors d’un cadre plus scolaire, il semble être aisé d’écrire avec des créateurs et créatrices de l’imaginaire. Pendant cette première journée j’ai aussi pu assister une autrice dans son atelier lecture et dégustation. L’enjeu ? Faire découvrir aux enfants les espèces protégées et les aliments typiquement suisses. Là, mes heures de remplacements en milieu scolaire s’avèrent très utiles pour échanger avec elles et eux autant pour le plaisir qu’avec le souci de développer leur réflexion. Je peux discuter avec les enfants, observer leurs réactions à l’atelier. La plupart ont pour intérêt principal de déguster les aliments proposés (fromages et saucissons), mais ils sont tout de même interpellés par les images qui accompagnent l’histoire, ils cherchent les liens entre ce qui leur est raconté et ce qu’ils voient. Ils repèrent ainsi les lieux, les objets, les personnages qui leur sont présentés. Certains s’essayent même à l’interprétation en se demandant pourquoi tel ou tel personnage fait telle ou telle action. Cet atelier m’a rappelé que lors d’une lecture, ce qui nous attire c’est ce que les mots et les images peuvent évoquer, le monde où ils peuvent nous transporter, les questions qu’ils peuvent soulever. Il est à mon sens essentiel autant dans le cadre privé qu’à l’école d’encourager les enfants à s’interroger sur les textes, à entrer dans une interprétation sur la base des informations verbales et iconographiques qui leur sont présentées, et les guider à travers ces informations sans pour autant rejeter leurs premières impressions. Les rencontres de ce type entre auteurs et jeunes lecteurs ont l’avantage de permettre à ses derniers d’entrer dans la discussion d’œuvres littéraires.

 

Entrée de la Cour de la Valsainte
© Charlotte Dünner, Vevey (VD) 18 juin 2022

Lors de cette première journée a également lieu une table ronde réunissant auteurs, illustrateurs, éditeurs, bibliothécaire et visiteurs pour discuter autour d’une question : « La littérature jeunesse peut-elle parler de tout ? ». Quand bien même je n’ai pas pu prendre part à la discussion, des proches m’ont rapporté deux éléments qui me semblent être essentiels à partager. Hubert Ben Kemoun, auteur de livres pour la jeunesse, s’est décrit comme un écrivain-voleur. Il exprime ainsi que pour lui les rencontres avec son public sont essentielles à son processus créatif car elles lui permettent de trouver des sources d’inspiration pour ces prochains ouvrages. Il puise dans l’univers des enfants, ce qui les intéresse, ce qui les intrigue, ce qu’ils aiment ou détestent, pour créer ses univers de fictions. La raison de cette relation d’échange d’inspiration est due à la différence d’âge et de vision du monde entre auteurs adultes et lecteurs jeunes. Comment se rappeler de comment on était étant enfants ? Qu’est-ce que j’aimais ? Est-ce que ce qui m’intéressait intéresse toujours les jeunes de maintenant ? Ces questions turlupinent les auteurs et autrices de littérature jeunesse. Le propos de Hubert Ben Kemoun rappelle donc la nécessité du dialogue entre écrivains/illustrateurs et les enfants à qui ces histoires sont destinées, une nécessité donc propre à la littérature jeunesse, plus qu’à n’importe quel genre littéraire.

Une autre interrogation portait sur les sujets difficilement discutés dans la littérature jeunesse. Le choix des auteurs de décider à quoi ils exposent les enfants, le sujet le plus contentieux étant la mort d’un enfant dans un livre. Manon Fargetton et Hubert Ben Kemoun exposaient deux opinions différentes sur la question. La première disait qu’elle trouvait le sujet parfois nécessaire, qu’écrire la mort même d’un enfant dans ses ouvrages pouvait être important à raconter. Le second confessait ne pas se sentir capable d’écrire la mort d’un enfant. Deux sensibilités différentes ? Deux approches créatives distinctes ? Cette question rappelle que les auteurs ont tous leurs limites, leurs peurs intimes, leurs raisons personnelles pour choisir de parler ou non de sujets difficiles. Je pense à titre personnel que quand bien même la littérature jeunesse doit permettre l’évasion du jeune lecteur dans un monde imaginaire, les histoires restent inévitablement une sorte de miroir de la multitude d’expériences qui peuvent être vécues par les enfants. Elles doivent donc servir à la fois d’avertissement, d’explication, de normalisation, de dénonciation, tout en divertissant leur public. Conclusion ? Ceux qui pensent se trouver face à une littérature facile, voire simpliste, se trompent.

Atelier d’illustration « Personnages de BD et mangas » avec Nicolas Imhof
© Charlotte Dünner, Vevey (VD) 18 juin 2022

Ce festival aura donc titillé mes intérêts d’étudiante en littérature jeunesse et de future enseignante. Ces questionnements se poursuivent le deuxième jour, que je passe au Théâtre l’Oriental. Je peux suivre l’atelier de Nicolas Imhof, que j’avais déjà pu observer le jour précédent à la Valsainte, un atelier d’illustration. Les enfants s’appliquent tellement que je dois les interrompre pour leur rappeler de boire de l’eau, nécessaire avec la chaleur du weekend. En écoutant les conseils de Nicolas pour la perspective, pour l’organisation des différents éléments sur la page, j’ai l’impression que tout a l’air si facile. Une zone de calme dans l’effervescence du reste du théâtre.

Couverture « Les Jardins d’Aspartule » par Estelle et Nicolas Imhof
© https://www.editions-amalthee.com/ fantasy/les-jardins-daspartule/

C’est fascinant également de pouvoir suivre les auteurs, les accompagner aux dédicaces. Je peux les entendre échanger sur leurs méthodes de travail, leurs goûts de lectures personnelles, les difficultés rencontrées avec les éditeurs. Tous sont unanimes sur leur appréciation du festival. Ils sont choyés et agréablement accueillis. Une remarque d’un auteur attire tout de même plus mon attention : il regrette de ne pas voir plus d’enseignant·e·s à cette rencontre. En effet, plusieurs des auteurs étaient allés dans des classes primaires et secondaires des alentours et avaient rencontré les élèves. Peu d’enseignant·e·s de ces classes ont pu se rendre au festival. L’exigeante effervescence du mois de juin explique sans doute cette « absence ». Si un des objectifs est d’encourager la jeunesse à la lecture alors la question se pose : est-ce qu’une collaboration plus étroite entre enseignant·e·s et les organisateurs·trices d’un festival tel que celui-ci conduirait davantage les enfants à venir ?

Cette observation m’a beaucoup fait réfléchir alors que je préparais mon remplacement de la rentrée. Comment amener les enfants et adolescents à lire ? J’ai les huit premières semaines à ma disposition pour mettre en place un cadre favorable à la lecture dans mes deux classes de 10VP et 11VG. Le festival a été à l’origine de deux idées. La première, une boîte à bouquins sur roulette que je peux transporter de classe en classe n’ayant pas de classe attitrée. J’ai donc pioché dans ma bibliothèque personnelle une sélection d’ouvrages qui m’avaient plu étant petite pour encourager les élèves à lire. Parmi ces livres : des albums de Claude Ponti, Titeuf, le Club des Cinq, Léonard le Génie, Harry Potter, etc… Évidemment, je me suis vite trouvée confrontée à l’évidence que prendre le temps pour la lecture chaque semaine allait être difficile à concilier avec un programme de français déjà chargé. La seconde idée m’est venue avec l’envie d’aider les enfants et jeunes ados à aimer la lecture : il faut leur laisser l’espace pour pouvoir l’apprécier. Sans imposer trop de clés d’analyse, pouvoir dire j’aime, je n’aime pas. Dire pourquoi, tout en leur donnant les informations nécessaires sur leur lecture pour pouvoir faire ce jugement. Enfin, dans le même esprit de voleur de Hubert Ben Kemoun, il m’a semblé important d’entrer dans le monde des adolescents pour pouvoir les amener dans ma lecture. Ainsi, les élèves de ma classe de 10VP écrivent des synthèses des chapitres du livre d’Eugène, La Vallée de la Jeunesse. Nous discutons en classe, échangeons nos impressions et postons ensuite ces résumés sur un compte Instagram dédié (@lireenclasse). L’idée étant de montrer ce que les livres peuvent nous dire du monde qui nous entoure, montrer que la littérature (de jeunesse mais pas que) amène à nous interroger sur nos vies bien réelles quand bien même ce sont des œuvres de fiction.

Voilà donc mon expérience du festival, un moment pour moi d’évasion, de réflexion. Grâce à la passion de ces créateurs de l’imaginaire, aux lecteurs prêts à les suivre ainsi qu’aux personnes ô combien précieuses qui organisent ces rencontres, le Festival de Littérature Jeunesse de Vevey n’a pas manqué à sa mission !

 

Chronique publiée le 27 septembre 2022

Par Charlotte Dünner, étudiante et bénévole au Festival de Vevey en juin