Entretien avec Silvain Monney
Entretien avec Silvain Monney, auteur de Matières noires, une bande dessinée augmentée parue aux éditions fleurs bleues (cf. chronique de la semaine passée)
Du point de vue du travail de conception et de réalisation, quelles différences comparé à un projet « classique » ?
Les différences par rapport à un projet classique sont importantes. Il s’agit à mon sens vraiment d’un autre médium qu’une BD classique ; et donc une autre manière de raconter et d’utiliser l’image. Dès la conception, je devais penser à la réalité augmentée en tant que nouvelle couche narrative et essayer, dans la mesure du possible, de faire en sorte qu’elle apporte quelque chose de nouveau ou différent sur chaque planche.
Une des différences qui me plaît est la suivante : on peut, à partir du même objet, avoir des expériences de lectures complètement différentes : avec ou sans l’application, avec ou sans le son, etc. Cela lui donne un bon potentiel de relecture.
Qu’est-ce qui vous a incité à « sortir » de la page ?
Une des raisons est assez simple : « Matières Noires » est mon projet de Bachelor en dessin animé à Lucerne. Je me sentais un peu obligé d’y intégrer des éléments animés, même si dans l’absolu j’aurais pu faire une BD sans réalité augmentée. Mais, surtout, j’avais depuis longtemps envie de traiter le fait que notre monde intérieur influence la vision que nous avons de la réalité. Chacun interprète les signes de manière différente selon son vécu, ses passions, ses peurs, et son caractère. La réalité augmentée me semblait le meilleur moyen de jouer avec cette idée de manière graphique puisqu’il n’y avait pas de texte.
Le résultat « multimédia » reflète-t-il votre manière de concevoir vos livres ? comme des films d’animation ?
Le résultat “multimédia” ne reflète pas ma manière de concevoir mes livres en général. Cela se prêtait bien à ce projet, pour lequel j’avais vraiment envie d’explorer ce nouveau médium qui me semblait tout à fait adapté à ce que je voulais raconter. Pour chaque projet, je me pose la question de la forme et de l’angle d’attaque suivant ce dont j’ai envie de parler. J’aime bien varier les plaisirs et suis tout à fait intéressé par le jeu vidéo et les projets interactifs où il y a, à mon avis, encore beaucoup à explorer.
Techniquement, les éléments graphiques « augmentés » sont-ils en papiers découpés ou imités ?
Les éléments augmentés ont été dessinés et animés sur l’ordinateur afin de gagner du temps et d’être plus flexible, mais effectivement le style est inspiré du découpage.
La conception du projet est-elle multimodale (textuelle, graphique, audio) au départ ?
La conception de ce projet était principalement graphique et textuelle. J’avais des idées assez vagues quant aux thématiques, quelques images en têtes, sur lesquelles j’ai travaillées de manière assez organique jusqu’à ce que le projet prenne forme. Je suis parti des personnages, dont chacun devait avoir une manie ou une sorte de psychose qui serait intéressante à traiter graphiquement. J’en ai créé environ 6, puis ai décidé de me limiter à 3 personnages, ce qui était déjà bien assez. L’histoire s’est construite peu à peu, en essayant de chercher des solutions afin de les faire se croiser. J’ai beaucoup travaillé avec le storyboard ; comme j’avais décidé assez tôt que la BD serait muette, il fallait que la narration fonctionne de manière purement graphique. Dans le storyboard, j’ai pensé par planches. Cela me semble essentiel pour une bonne BD : ce ne sont pas juste des images juxtaposées. L’organisation en planches nécessite une vraie réflexion en amont, afin d’utiliser au mieux ses possibilités, notamment la surprise en tournant la page.
Si vous deviez présenter votre livre à des enseignants ?
C’est une question assez difficile. Disons que si je devais la présenter en quelques mots, voici ce que cela donnerait :
« Matières Noires » est une bande dessinée augmentée traitant de 3 personnages singuliers, dont les destins vont se croiser de manière tragi-comique et dont le monde intérieur est rendu visible par la réalité augmentée.
Et le prochain ? Pourrez-vous revenir à un format non augmenté ?
Bien entendu ! Je reste un grand amateur de BD “classiques” et ne voudrais en aucun cas mettre de la réalité augmentée là où elle n’est pas nécessaire. Je pourrais envisager d’en refaire une avec RA* car, à présent, je saurais mieux m’y prendre dès le début avec le bagage que j’ai acquis avec ce premier projet augmenté. Mais dans l’immédiat je ne pense pas partir dans ce genre de projets.
* réalité augmentée
Chronique publiée le 8 avril 2019
Par Maud Lebreton-Reinhard, Hep-Vaud, maud.lebreton-reinhard@hepl.ch
Matières noires, Silvain Monney, Éditions Fleurs bleues, 2018.
L’auteure remercie Silvain Monney pour sa disponibilité.