Le Petit Théâtre – Une scène vivante pour la littérature jeunesse

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Sophie Gardaz, née à Lausanne en 1962, dirige depuis 2005 le Petit Théâtre de Lausanne, théâtre pour l’enfance et la jeunesse. Lieu de créations pour des compagnies de Suisse romande, il accueille des professionnel·le·s réputé·e·s issu·e·s du théâtre, de la danse ou encore des arts performatifs.

Bien connue du public romand grâce à son héros le chat Milton, la dessinatrice Haydé a composé les affiches des spectacles programmés au Petit Théâtre pendant de nombreuses années, apportant ainsi au lieu une identité visuelle très forte.

Sophie Gardaz est lauréate du Prix suisse des arts de la scène 2022.

 

Anacolute Petit Théâtre © Philippe Pache

 

 

Entretien avec Sophie Gardaz, avril 2023.

 

MU : Sophie Gardaz, vous êtes directrice du Petit Théâtre Lausanne depuis près de 20 ans, et votre programmation s'appuie bien évidemment sur des choix et une ligne artistique que vous défendez. Comment est-ce que vous la définiriez ?

SG : C'est toujours une question compliquée parce que ça oblige à synthétiser ! On fait une multitude de choix, parce qu'on n'est jamais dans une voie unique. Le théâtre d’ailleurs est un art collectif, souvent issu de plusieurs formes d'art et d'artisanat, réunissant du texte, de la musique, des lumières et une scénographie, nécessitant ainsi dans sa complexité de réaliser une multitude de choix.

Mon premier choix, ma première exigence, c'est la diversité. Le Petit théâtre s'adresse au jeune public, c'est une contrainte. Je ne pourrais pas, même si je le voulais, faire des spectacles que pour adultes. En revanche, j'ai la liberté totale dans les formes que je propose. Ce qui n'est pas le cas de mes collègues qui programment dans les théâtres pour adultes. Ce qui veut dire que j'ai vraiment envie et intérêt à ouvrir au maximum les possibles des formes.

MU : Donc, il peut y avoir dans une même saison des formes contemporaines et d’autres plus classiques.

SG : Exactement, et ce qui est vraiment assez rare ! En général, les gens doivent choisir leur camp. Mais pas moi. J'ai l'immense chance de pouvoir offrir à la fois des spectacles très contemporains, de la danse, de l’écriture de plateau, toutes sortes de formes qu'on voit naitre aujourd'hui et d'autres qui sont réalisés avec un schéma plus classique, avec un texte, un ou une metteur⋅e en scène, un⋅e scénographe, des acteur⋅rices qui apprennent leurs rôles.

Je programme également des projets avec des artistes qui font du cirque, ou d’autres qui proposent des spectacles musicaux, ou encore des spectacles de contes. La diversité des formes est très importante.

J'essaye aussi d'aller, je dirais, aux confins de mon goût personnel, c'est-à-dire de faire l'effort de me dire : « Je ne vais pas imposer aux enfants uniquement des choses qui me plaisent à moi. » J'essaie bien sûr d'avoir une exigence de qualité, une haute exigence de qualité. Ça me parait essentiel de proposer aux enfants des spectacles avec la même exigence que pour les adultes. Comme tout le monde, je préfère certains spectacles à d'autres. Mais quand j'ai ma casquette de programmatrice, j'essaie vraiment d’offrir avant tout des spectacles de toutes les formes aux enfants qui viennent ici.

Mon Chien Dieu Petit Théâtre © Philippe Pache 2017

 

MU : Est-ce que ces choix s'appuient aussi sur le fait qu'il y a des scolaires, qui représentent près de la moitié des représentations au Petit Théâtre ? Et donc que ces spectacles ont aussi un rôle pédagogique ?

SG : Alors, en fait, pas du tout. Je ne me préoccupe jamais de l'aspect pédagogique des spectacles, jamais. Et si je le dis avec fermeté, c'est parce que la tendance ou la tentation de se rapprocher de l'École est toujours là. On travaille en lien avec les classes et les enseignant⋅e⋅s, et on pourrait tout à fait se visualiser comme étant un outil pédagogique. Or, pour moi, le théâtre est avant tout une action artistique. C’est en lien avec la culture et c'est important que les écoles qui viennent au Petit théâtre fassent le pas de sortir de l'École pour venir au théâtre. Après, s'ils utilisent le spectacle qu'ils ont vu à des fins pédagogiques, une fois retournés dans leur classe, tant mieux, c'est formidable et j'applaudis des deux mains ! Mais ce n'est pas notre rôle d'aller faire du théâtre utile, ou de la prévention. Je me préoccupe de ce que les artistes ont envie de raconter aux enfants, et pas de ce que les enfants auraient besoin d'entendre d'un point de vue scolaire.

MU : Le théâtre est multiple et propose beaucoup d’univers très différents, des styles très variés : il y a le théâtre de divertissement, ludique. Il y a le théâtre engagé qui souhaite éveiller les consciences. Et il y a la poésie, proposant d'autres formes de langage. Est-ce que tout ça se retrouve sur la scène du Petit Théâtre ?

SG : Idéalement, oui ! C’est formidable quand ça arrive. Et ça arrive parfois qu'on ait absolument toutes ces dimensions qui soient présentes dans un même spectacle. Le divertissement a une connotation un tout petit peu péjorative, mais en réalité un spectacle qui fait plaisir, qui est rempli de joie, qui donne envie de chanter et de rigoler en sortant, c’est tant mieux et c'est vraiment tout ce qu'on peut demander à un spectacle. L'aspect poétique est important. Une des particularités du jeune public, c'est son imaginaire, l'imaginaire des enfants qui est surpuissant. C'est-à-dire qu'on a affaire à des gens, à des personnes qui partent plus facilement dans leur imaginaire qu'elles ne restent sur terre. C'est une responsabilité pour les artistes. Certains spectacles partent d’un point de vue qui n'est pas réaliste et on sent les enfants adhérer sans condition à cet univers. Parfois ça nous crève le cœur de les ramener trop vite sur terre. On a envie de les laisser encore dans leurs rêves, dans leur imaginaire.

Il y aussi des thèmes abordés plus sombres, et j’avoue que là, il y a des tendances, comme dans le théâtre pour adultes. Il y a eu une époque, il y a une dizaine d'années je dirais, où beaucoup de spectacles jeune public traitaient de thèmes très sombres. C’était sans doute pour contrebalancer une période précédente qui faisait la part belle au divertissement. Quand je dis thèmes sombres, c'est la mort, la maladie, la guerre par exemple. Aujourd'hui, il y a une double tendance : celle de traiter des thèmes d’actualité, comme le climat, la question du genre, avec une vraie volonté d'être positif. Certainement parce que le monde dans lequel on vit n’est pas forcément très joyeux. Dans ce monde anxiogène, on répond par un spectacle positif. Il existe un besoin de créer des spectacles apaisants, qui donnent foi en l'être humain et portent un message d’espoir.

Wouah © Philippe Pache 2022

 

MU : Est-ce que vous pourriez nous recommander des textes qui se prêteraient bien à un usage en classe ? Vous qui êtes une spécialiste ! On peut faire tellement de choses à partir du matériau poétique. Que ce soit pour des lectures à voix haute, du jeu théâtral, des exercices d'écriture.

SG : Alors en fait, ce qui est amusant avec les textes pour le jeune public, c'est qu'ils ne sont pas forcément écrits pour être dits par des enfants. Je ne suis pas une spécialiste des textes qui sont écrits par des auteurs pour être dits par des enfants ! Néanmoins, ceux qui sont montés régulièrement au Petit Théâtre sont censés être entendus, compris et sont censés plaire aux enfants.

Je commencerais par des textes où les enfants peuvent immédiatement s'identifier au héros ou à l’héroïne, comme le Journal de Grosse Patate de Dominique Richard. C'est le journal intime d'une petite fille qui se surnomme elle-même Grosse Patate, ou qu'on surnomme Grosse Patate. Ce texte évoque la vie de cette petite fille dans sa classe, avec ses copains, ses copines, les interactions dans la cour d'école. C’est un exemple de thème très simple pour les enfants. Ils arrivent très vite à s'identifier et donc à appréhender ces textes en se les réappropriant à la 1e personne du singulier !

Moustique de Fabien Arca est un autre exemple de ce type, lui aussi beaucoup utilisé en animation scolaire. Ce sont de petites histoires philosophiques, assez simples d'un premier abord. Ce sont de vraies perles et qui font beaucoup rire les enfants. Le rire est évidemment un excellent moteur pour désinhiber le rapport à la lecture que les enfants peuvent avoir. Il y a d'autres auteur·rice·s que j'aime beaucoup, comme Suzanne Lebeau, une autrice québécoise, qui est l’une des plumes les plus importantes du théâtre jeune public. Elle a notamment écrit L’Ogrelet, un texte qui a été joué énormément de fois, traduit dans le monde entier, écrit dans une langue très simple mais extrêmement profonde. Une œuvre à lire je dirais pour les enfants, par les enfants, par les adultes, par tout le monde ! Philippe Dorin également, qui lui propose une écriture très, très simple, avec des phrases très courtes, très percutantes, dans un univers absurde, non-réaliste, qui est tout à fait intéressant pour une lecture immédiate ! Surtout parce que les enfants ne sont pas tous et toutes de bons lecteurs, et certains textes de théâtre permettent assez vite d'entrer dans le plaisir de lire et donc le plaisir de dialoguer.

Je voudrais citer également l’autrice suisse Mali Van Valenberg, comédienne et metteure en scène. Elle a écrit Les deux frères, d’après les frères Grimm, et publié Semelle au vent chez Lansman Editeur. Elle propose une écriture facile à lire, très belle et très musicale, qui mérite toute notre attention.

Propos recueillis au Petit Théâtre à Lausanne, en mars 2023.

  • Liste des textes cités :

Le Journal de Grosse Patate, de Dominique Richard, Éditions Théâtrales, 2002

Moustique, de Fabien Arca, Éditions Espaces 34, 2011

L’Ogrelet, de Suzanne Lebeau, Éditions Théâtrales, 2003

Semelle au vent, de Mali Van Valenberg, Lansman, 2017

Philippe Dorin, auteur jeunesse publié chez L’école des loisirs.