La médiathèque pour devenir ogre  

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Certains bibliothécaires scolaires débordent de créativité pour partager leurs passions.  Astucieux, ils invitent nos adolescents à explorer des chemins inattendus et à se surpasser. Ils partagent avec nous le souci de leur donner le goût de lire, de les inciter à se rencontrer - soi et les autres.

Allons au-devant de l’un d’entre eux, Stéphane Vincent, bibliothécaire de la médiathèque la plus spacieuse du Canton de Genève (dans le cadre du Cycle d’orientation), celle du cycle de l’Aubépine. Nous choisissons de rendre compte d’échanges qui sont autant de perles que ce Monsieur pose sur le chemin de nos ados. « M’sieur Vincent, il kiffe grave avec les livres. Il est pas chelou lui. »

Mission première de son espace

Stéphane Vincent est quelqu'un d'ordinaire à première vue. Derrière son comptoir, il attend les adolescents. Plus on le connaît, plus on se rend compte qu’il défend avec détermination la double mission de son espace qui est de promouvoir la lecture et de contribuer à la recherche éclairée d'information (voir ici). Il se dit au service du livre et de la pensée critique. Elèves et enseignant.e.s sont ses principaux interlocuteurs. Il rappelle immédiatement et humblement que ses collègues partagent sa motivation dans les autres cycles du canton. Non, Stéphane Vincent n’est pas seul.

Appâter, oui mais pour orienter

Pas de misérabilisme, il croit en ses adolescents.  Il a comme défi de leur faire identifier qu’ils ont quelque chose à trouver pour eux et pour les autres dans le livre, dans ce que d’autres ont peut-être à leur dire. «Je me transforme carrément en « marchand de tapis », avant Noël, mais c’est pour la bonne cause ! J’appâte les adolescents, oui. Mais c’est pour qu’ils puissent se rencontrer et échanger autour du livre, c’est pour qu’ils puissent se défendre et poser des choix ».

Son lectorat, de futurs ogres qui grandissent, qui grandissent, qui grandissent

Son lectorat, il le connaît. Il déteste les généralisations. Il n’y a pas de jeunes, entité abstraite, mais toujours une personne. Une personne avec qui il aura des échanges et qui pourra donner le meilleur d’elle même. Pour lui, ces ados ne sont pas tous « englués dans la misère intellectuelle et psychologique comme on nous les présente généralement dans les médias ». Ils ne sont donc pas tous « machos, racistes, alcooliques et fumeurs, surendettés, accros des jeux vidéo, délinquants du volant ou minettes 100% narcissiques, accros de la mode, adeptes de la chirurgie esthétique et pauvres petites marionnettes souriantes de la dictature des apparences ». Lui estime « que, vu le contexte, la majorité des jeunes s’en sort relativement bien... ou pas plus mal que les adultes ».

Ses adolescents le lui rendent bien. « Nous on aime faire des pauses-lecture ». « On suit grave les consignes ». « Bâtard, faut se taire quand on est à la médiathèque ». « On ne mange pas au dessus des livres ». « M'sieuuuur…. Si on lit un livre sur une liseuse, ça compte comme un livre ? ». « M’sieur Vincent, les livres pour lui, c’est de la bouffe ». « M’sieur Vincent y sait touuuuut, y connaît la place de chaque livre et y peut même te dire la paaaaaaaaaage ! » Stéphane Vincent est un vrai Monsieur aux yeux des ados.

Mais alors que propose-t-il à manger à ces ogres en devenir ?

Détaillons ce que nous avons vu défiler.

Un club de lecture

Des affichettes posées à droite à gauche.

Monsieur Vincent a flairé, repéré, contacté personnellement quelques élèves dans chaque classe de 9ème pour leur suggérer de fonder un club de lecture. Monsieur Vincent est opiniâtre. Il a ainsi dialogué personnellement avec une trentaine d’élèves… Il a équipé ceux qui le voulaient d’un petit manuel pratique de trois pages (voir ci-dessus) réalisé par ses soins. Il est aussi passé par les enseignant.e.s afin de n’être pas le seul à encourager les jeunes à venir se lancer dans  les méandres des livres.

Il a commencé à préparer le terrain en octobre. En décembre, il constate que plusieurs embryons de club ne sont pas allés jusqu’au bout du processus. Il évoque avec fierté le club fondé par trois élèves motivées, avec déjà deux rencontres à la clef. Les trois fondatrices ont reçu un bon de 30 francs à faire valoir dans une librairie indépendante. Les livres présentés ont été exposés et la plupart ont circulé. Sait-il que trouver des copains n’est pas forcément évident pour elles ? Un groupe, c’est déjà un bon début. Mais Monsieur Vincent poursuit.

Des sacs de livres pour Noël

Pendant tout le mois de décembre, il propose également à ses lecteurs de faire leurs « emplettes » pour Noël. Il leur demande d’aller se servir dans les rayons et de déposer leur choix dans un sac à commissions, avec leur carte de lecteur. Il s’occupera de l’enregistrement des livres pendant les heures de cours. « Nous avons presque atteint les 1200 prêts de Noël ce 23 décembre 2016 ». La mine ravie, il a écoulé presque 100 sacs.

Pendant les grandes récréations (converties ici en « pauses-lectures »), les jours avant Noël, il s’est amusé à proposer une lecture particulière aux usagers de la médiathèque :

« Le seul livre dont personne n’a refusé de déguster au moins une ligne ! »

Monsieur Vincent est un dresseur d’ogres. Il va chercher nos adolescents. Devenir géants pour mieux maitriser et apprivoiser le monde qui les entoure tout en s’apprivoisant et en maitrisant l’énergie contenue en chacun. Simplement s’engager, lire, parler pour grandir et se forger des armes pour la vie !

A l’entrée de la médiathèque est placardé un proverbe chinois : « Ouvre un livre, il t’ouvrira ! »

Par Carole-Anne Deschoux, professeure-formatrice à la HEP Vaud, Carole-Anne.Deschoux@hepl.ch

Pour se rendre virtuellement à la médiathèque: https://edu.ge.ch/site/mediatheque-aubepine/, consulté le 25 avril 2017

Pour aller plus loin et consulter « lire à quoi ça sert » : https://edu.ge.ch/site/mediatheque-aubepine/lire-a-quoi-ca-sert/, consulté le 25 avril 2017

Chronique publiée le 27 mars 2017