Former à enseigner la littérature de jeunesse : comment procède-t-on à la HEP Vaud ?

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Sur www.voielivres.ch, si la littérature de jeunesse se révèle « aux frontières de tous les possibles, même à l’école », selon la formule de la page d’accueil du site, cela signifie qu’elle s’enseigne et, donc, qu’il s’agit de former pour qu’elle soit enseignée. C’est le pari qui est fait à la HEP Vaud depuis dix ans, avec un module d’approfondissement consacré à la littérature de jeunesse. Parmi une vingtaine de propositions, chaque étudiant·e de 3e année inscrit·e en filière primaire choisit une thématique qu’il·elle va étudier durant un semestre. Voie Livres a rencontré la responsable de ce module, Marie Béguin, qui a accepté de nous ouvrir les portes de son séminaire afin de parler des enjeux de cet enseignement et des moyens que les formatrices se sont donnés pour faire de la littérature un objet d’enseignement dans les classes. L’entretien se termine avec quelques coups de cœur et quelques titres d’ouvrages que toutes les bibliothèques scolaires pourraient accueillir. On vous souhaite une promenade inspirante !

 

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SF pour www.voielivres.ch : Marie Béguin, puisque tu es responsable du séminaire BP53AP-h qui fait de la littérature de jeunesse son apprentissage premier, on fait l'hypothèse que tu apprécies cette littérature : pourrais-tu nous dire ce que tu aimes particulièrement dans la littérature de jeunesse et pourquoi.

Marie Béguin : En effet, il vaut mieux pour donner ce séminaire, non seulement un peu connaitre la littérature de jeunesse, mais aussi l'apprécier profondément. Je ne prétends pas la connaitre dans tous ses aspects parce que c'est un territoire vraiment très vaste. Mais oui, plus je l’explore, plus je découvre des pépites. Et Claire Detcheverry, avec qui je donne ce séminaire, est également une passionnée. Pourquoi aimer la littérature de jeunesse ? Je trouve que certains ouvrages ont des qualités rares et très précieuses, à mes yeux, qui sont celles d'être à la fois simples et complexes. Je m'explique. La littérature de jeunesse doit souvent travailler avec une économie de moyens, une économie de mots voire une économie d'images. Mais, ça n'empêche nullement d'aborder tous les sujets, les plus graves comme les plus drôles, parfois les plus graves, avec drôlerie, parfois les plus drôles avec sérieux. Quoi qu’il en soit, cette économie imposée fait de la littérature de jeunesse une littérature de l'implicite, de l'évocation, tout en sous-entendu et en sensibilité. La littérature jeunesse a une autre particularité qui tient à son double lectorat : comme on le sait, elle s'adresse à la fois aux adultes, prescripteurs, parents, enseignants, bibliothécaires, et aux enfants. Donc, on a une littérature qui joue sur plusieurs niveaux de lecture avec une épaisseur interprétative qui la rendent là aussi intéressante. Et puis c’est une littérature très immédiate qui ne craint pas de mettre en scène le sensible, le rapport aux animaux, à la nature, au monde. La littérature de jeunesse est souvent délicate et poétique. Enfin certains ouvrages, je pense surtout aux albums, sont d'un point de vue esthétique incroyable, avec des qualités de graphisme, des traitements des couleurs, etc. qui en font vraiment des chefs-d’œuvre à part entière.

SF pour www.voielivres.ch : Est-ce que cette économie de mots et de moyens va requérir, selon toi, des compétences en lecture particulières chez les élèves ? Est-ce que ça expliquerait peut-être la nécessité de ce séminaire de littérature de jeunesse pour transmettre aux élèves des habiletés qui leur permettront d'apprécier cette délicatesse du texte que tu viens de décrire ? Pour toi, quel serait l'objectif prioritaire de ce séminaire ? Qu'est-ce que tu aurais envie de transmettre aux étudiants et aux étudiantes ?

Marie Béguin : La littérature jeunesse, comme tu sais bien, c'est un territoire immense. Mais la plupart des étudiant·e·s qui s'inscrivent au séminaire n’ont souvent que peu de connaissance en matière de littérature de jeunesse. Et c’est tant mieux ! On est là pour les initier… Un des premiers objectifs du séminaire est donc de leur donner quelques outils pour comprendre comment explorer ce champ. Avec Claire Detcheverry, nous leur faisons découvrir les lieux où l’on peut rencontrer cette littérature de jeunesse, les bibliothèques, des auteur·rice·s important·e·s, les maisons d’éditions qui comptent, pour leur donner quelques balises. On espère que ce seront les premiers jalons sur lesquels ils pourront s’appuyer pour approfondir cette exploration du monde du livre jeunesse durant toute leur carrière. On essaie de cultiver cet esprit de découverte.

Le second est peut-être plus en lien directement avec notre mission à la HEP. Il s’agit de faire comprendre aux étudiant·e·s que, précisément au vu des caractéristiques que l’on vient d’évoquer, la littérature de jeunesse n'est pas simplement un délassement. Elle est aussi un objet d’enseignement à part entière : les livres ne sont pas simplement là, à disposition des élèves qui auraient fini les tâches sérieuses, mais elle doit vraiment être placée au cœur des leçons. Et cela on doit l’expliquer aux étudiant·e·s, leur donner des pistes car cela ne va pas forcément de soi, notamment chez les futurs enseignants du cycle 2. On leur va leur expliquer non seulement pourquoi la littérature doit s’enseigner, pourquoi elle a sa place dans les programmes et ensuite, évidemment comment procéder concrètement. Nous avons donc deux grands objectifs, cultiver l’esprit de découverte, puis démontrer pourquoi et comment la littérature s'enseigne.

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SF pour www.voielivres.ch : Et en fait, c'est cette littérature qui devient objet d'enseignement, le second objectif poursuivi dans le séminaire, est-ce qu’il se décline en des enjeux différents selon les cycles ? Tu as évoqué le cycle 2, mais est-ce que tu arriverais en quelques mots à esquisser les enjeux qui sont spécifiques au cycle 1 et les enjeux qui sont spécifiques au cycle 2 et qui s'inscrivent dans ces deux objectifs que poursuit le séminaire ?

Marie Béguin : Si les enjeux évoluent bien sûr avec l'âge des élèves, il ne faudrait pas qu'il y ait des grandes ruptures, à mon sens. Or, dans les faits, des manières différentes existent au cycle 1, 2 et 3. Ce sont des pratiques sédimentées, voire institutionnalisées, puisque le plan d'étude lui-même suggère une approche de la littérature différentes pour les cycles 1, 2 et 3. De fait, je lutte contre cette conception. Les étudiant·e·s doivent comprendre qu'enseigner la littérature de jeunesse, c'est, comme l'a montré Jean-Louis Dufays, toujours un va-et-vient, un rapport dialectique, entre une participation affective, émotionnelle et une distanciation critique. Et il me semble que nous devons leur montrer dans nos séminaires que ces deux attitudes sont complémentaires. Elles ont autant de valeur l'une que l'autre et elles doivent être travaillées l’une et l’autre aux trois cycles. Dans les faits, au cycle 1, on envisage la littérature sous l’angle de participation affective, et plus les élèves grandissent plus la littérature est abordée selon le paradigme de la distanciation critique. J'essaie de lutter contre cette idée-là. Évidemment, les compétences des élèves évoluent avec l'âge et une lecture analytique ou une lecture critique sera plus facile à travailler aux cycles 2 et 3. À l’inverse également, ce serait dommage de cantonner la seule lecture psychoaffective au cycle 1. En réalité, exprimer ce que nous évoque un texte du point de vue émotionnel, faire appel à son vécu, à ses expériences de lecteur, de spectateur ou simplement d’être humain, c'est très compliqué. C'est quelque chose qui est peu travaillé au cycle 2, et encore moins au cycle 3, ce qui est selon moi une erreur, car avec la lecture sensible, on touche à l’essence même d’une lecture littéraire par rapport à d’autres types de lectures plus utilitaires. Donc si les pratiques peuvent, et même doivent, être sensiblement différentes au cycle 1 et 2, je mettrais surtout l’accent sur la continuité car les enjeux sont les mêmes.

SF pour www.voielivres.ch : Concernant plus particulièrement l'organisation du séminaire BP53AP-h, pourrais-tu nous parler de l'organisation et de la structure que tu as données au séminaire ? Et puis quels sont pour toi les moments forts du semestre ?

Marie Béguin : La structure a été pensée avant l'arrivée de notre duo, on a donc construit sur ce qui existait déjà. On a cependant mis l'accent sur trois volets, en tentant de les équilibrer. Il y a un volet théorique, sur lequel on ne peut faire l'impasse, où on propose des clés pour analyser un album, des démarches pour construire une séquence, en s'appuyant sur le plan d'étude. Nous avons aussi un volet plus pratique dans lequel on propose un certain nombre d’outils aux étudiant·e·s : par exemple, ils se rendent dans une bibliothèque pour visiter ces lieux, on leur propose des dispositifs ou des modalités pour enseigner tel ou tel aspect, en particulier la compréhension. Et dans le troisième volet, on essaie que les étudiant·e·s aient l’opportunité d’articuler ces éléments. Et c'est peut-être l’aspect qu'on a plus développé cette année en lien avec une nouvelle forme d’évaluation que nous avons développée. L’idée de ce troisième volet est que les étudiant·e·s s’approprient les différents apports théoriques et les mettent en pratique à trois occasions : ils doivent faire une analyse a priori d'un album selon une grille, ils doivent imaginer la scénarisation du même album, donc faire une transposition didactique des enjeux mis en évidence dans l'album, et enfin imaginer une séquence en réseau autour de trois ou quatre albums, avec l'élaboration d'une problématique qui questionne un enjeu commun aux trois albums. Ces trois étapes progressives permettent aux étudiants d’intégrer les apports théoriques et pragmatiques et se les approprier. L’avantage d’avoir un séminaire avec de petits effectifs, c’est que l’on peut se permettre de leur faire des rétroactions individualisées, à chacune de ces étapes. On est vraiment dans une perspective de formation assez forte. A la fin du semestre, je ne dis pas que les étudiant·e·s maîtrisent forcément l'entier de ces démarches dans toute leur complexité, ce serait trop ambitieux, mais je pense qu’un certain nombre de réflexes ont été acquis et que la réflexion a été enclenchée.

SF pour www.voielivres.ch : Y a-t-il eu des surprises, des étonnements de la part des étudiant·e·s sur le programme du semestre ?

Marie Béguin : Dans un court bilan réalisé à la fin du semestre, les étudiant·e·s nous ont dit qu'ils avaient été surpris par la portée pratique de ce séminaire. La plupart d'entre eux ne choisissent pas forcément ce séminaire parce qu'ils ont une passion incandescente pour la littérature de jeunesse. C'est souvent aussi un choix par défaut. Mais ils nous ont dit avoir le sentiment de repartir avec du matériel et des pistes pour enseigner la littérature. Sur la base du descriptif, le séminaire leur était apparu moins aux prises avec leurs préoccupations quotidiennes que d'autres, par exemple un séminaire sur la gestion de la classe, mais à l'inverse, ils avaient l’impression que le séminaire permettait d’aborder un travail de transposition didactique au cœur de leur enseignement. Finalement, les étudiant·e·s ont assez peu l'occasion de construire une séquence longue, de penser l'articulation entre toutes les progressions d'apprentissage du PER, entre les micros-objectifs et les tâches, de pointer les apprentissages visés à chaque étape et de les institutionnaliser. Par le biais de la littérature de jeunesse, ils doivent se confronter concrètement à ces questions. La littérature est une entrée pour enclencher une réflexion plus large sur leur métier. Le BP53AP-h est de ce point de vue une excellente préparation au BP63FRA.

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SF pour www.voielivres.ch : Ton propos me permet d'enchaîner avec la question suivante où je me demandais si tu percevais un changement dans le rapport à la littérature de jeunesse chez les étudiants et les étudiantes, entre le début et la fin du séminaire, au-delà des compétences qu'ils construisent tout au long de ces semaines de formation ?

Marie Béguin : J'ai l'impression que le rapport à la littérature de jeunesse des étudiant·e·s bouge au cours du semestre. Ils développent un regard plus affûté sur les ouvrages. Notamment, j'ai l'impression qu'ils comprennent un peu mieux comment la littérature de jeunesse devient un véritable objet d'enseignement. Quand ils abordent le séminaire, ils arrivent souvent avec l'idée que la littérature de jeunesse va être une sorte de tremplin pour aborder certains thèmes. Ils ont une approche très thématique du texte et une vision un peu instrumentale. La littérature est une sorte de réservoir d'exempla pour telle ou telle situation : par exemple, « il y a eu une dispute dans la classe, alors trouvons un album qui permette de mettre en scène ce thème ». Et puis peu à peu, leur regard change et bouge. C'est assez imperceptible. J'ai une petite anecdote. J'entendais trois étudiantes qui travaillaient à l'élaboration d'une séquence en réseau. Elles réfléchissaient à la problématique de leur séquence en réseau autour du conte Boucle d'Or. Le conte, selon elles, servait à montrer aux enfants qu'il ne faut pas désobéir et l'idée était donc de mettre en évidence cette leçon de vie aux élèves. Puis en confrontant les ouvrages sélectionnés, elles se sont rendu compte que ça ne jouait pas du tout, que leur problématique ne rendait compte de la complexité des ouvrages, qu'elles plaquaient une lecture a priori sur des textes qui étaient en fait beaucoup plus nuancés, plus riches et plus polysémiques. Elles se sont rendu compte qu'en fait, leur manière d'aborder les choses ne rendait pas compte des enjeux et des aspérités de ces albums. Elles étaient en train de se rendre compte que la littérature est à double, à triple fond et qu'on ne pouvait pas juste l'utiliser comme une démonstration morale. Je ne suis presque pas intervenue parce qu’elles mettaient en lumière des points que nous avions déjà abordés, de manière théorique. Mais voir concrètement leur conception bouger grâce à leurs interactions dans la confrontation aux textes m’apparaissait comme un signe plus évident que des compétences essentielles étaient en train de se construire.

SF pour www.voielivres.ch : C'est intéressant parce que ça rejoint le propos que tu avais en début d'entretien, où tu disais que tu apprécies cette littérature parce qu'elle est complexe, et qu'elle permet une lecture à des niveaux multiples. Dans le fond, avec l'anecdote que tu racontes, c'est aussi le trajet parcouru par ces étudiantes vers une perception de cette littérature appartenant aux textes complexes.

Marie Béguin : Oui, mais le processus se fait lentement. La conception d’une littérature de jeunesse plurielle et ouverte, qui ne donne pas de leçons de prêt-à-penser, est abordée dès le premier séminaire. Mais ça reste théorique et il faut qu’ils y soient confrontés eux-mêmes. Même si dans l'analyse a priori, ils perçoivent souvent la complexité des textes - textes qu’ils ont d’ailleurs choisi avec finesse - au moment où ils imaginent une séquence, ils ont tendance à lisser les résistances, ils se disent que les élèves sont jeunes et qu'il faut donc s’adapter à eux, quitte à dénaturer un peu le texte. C'est en quelque sorte difficile de garder le cap de la complexité au moment de se confronter aux élèves. J'ai une autre anecdote : c'était une étudiante du cycle 2, qui avait choisi un album de Thierry Dedieu, Au secours des Zoulous-Papous. Elle l'avait choisi car son regard un peu acide l’intéressait, mais il y a eu un moment où elle a presque rejeté ce livre, parce qu'en fait, il a des aspects terriblement dérangeants, il est bien moins lisse que ce qu'elle avait imaginé. Elle avait pensé que l'album portait à la fois une condamnation anti-coloniale et une morale écologique. C’est le cas, mais en ne ménageant personne, pas même la « bien pensance » des antimondialistes. Elle a été confrontée assez intimement à la fonction que j'appelle « poil à gratter » de la littérature de jeunesse. C'était intéressant, parce qu'elle a eu un premier mouvement de rejet. Puis tout à coup, elle a compris que cet album était bien plus efficace qu'un ouvrage démonstratif.

SF pour www.voielivres.ch : Il a une dimension cynique aussi, cet album !

Marie Béguin : Ah, Il est terrible ! C'est vraiment une fable satirique. C’était une étudiante vigilante, avec des idéaux. Donc, il y a eu un petit moment difficile. Et puis elle a su rebondir par rapport à ça et j'ai trouvé ça super intéressant.

SF pour www.voielivres.ch : Merci pour ces anecdotes qui nous permettent aussi de mieux comprendre, de mieux illustrer les situations auxquelles les étudiants et étudiantes peuvent être confrontés dans le cadre de ce séminaire.

Marie Béguin C'est vraiment une rencontre, avec différentes étapes. Et à chaque étape, il y a de petits éléments qui bougent. Il ne faut pas vouloir tout mettre en place au premier séminaire.

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SF pour www.voielivres.ch : Et puis, pour se dire au revoir, est-ce que tu pourrais nous donner ton coup de cœur littéraire que tu aimerais voir dans toutes les classes du cycle 1 ? C'est aussi une question « poil à gratter »...

Marie Béguin : Oui une question très difficile. Et c’est vrai que réfléchir à un livre qui devrait être dans toutes les classes et te citer mon coup de cœur du moment, ce n’est pas pareil... Concernant les albums à trouver dans toutes les classes, je serais quand même assez sensible à mettre en avant quelque chose dont nous n’avons pas encore parlé. C'est la dimension historique de la littérature jeunesse. Il y a eu un bouleversement incroyable dans les années 60-70, avec un changement radical dans la manière d'envisager la littérature qui s'appelait « enfantine », en lien d’ailleurs avec un changement de la conception de l’enfance elle-même. Dans les classes, j'aimerais bien qu'il y ait quelques albums fondateurs qui témoignent de ce changement-là. Je pense à Max et les maximonstres, pour que les élèves prennent conscience que dans un album on a un double récit et que texte et image se répondent, se servent réciproquement. L’album de Sendak qui date de 1963 a inventé une nouvelle manière de figurer le récit.  Ce n’est pas simplement le texte et les images qui servent le récit mais c’est la manière dont ces deux langages s’articulent puisque l'image prend de plus en plus de place à mesure que l'enfant plonge dans son imaginaire. Un autre de ces albums historiques qu'on devrait trouver dans toutes les classes, c'est Petit bleu et petit jaune de Leo Lionni qui permet aux élèves d'entrer dans une compréhension symbolique du monde. C'est une autre manière d'appréhender la notion de code. Ce sont des piliers de la littérature de jeunesse, qui commence aussi à avoir son histoire.

Dans les coups de cœur à proprement parler, je choisirais de parler de l'album Le voisin de Walid Serageldine. Pourquoi ? Parce que celui-là, je sais qu'il sera dans les classes. Il est en effet le centre d'un parcours des nouveaux moyens d'enseignement romands de français. C'est intéressant que les rédactrices aient choisi un album sans texte. A première vue, c'est une expression qui peut paraitre a-littéraire car qui dit littérature, dit lettres. Mais je pense que c'est aussi très important qu'on travaille l'album sans texte. Parce que d'un point de vue didactique, l'album sans texte sollicite des compétences de lecture d'images, qui dans un album traditionnel, sont complémentaires de la lecture du texte. Et ce travail sur l’image permet de modéliser l'activité du lecteur de manière peut-être plus claire pour les élèves. Donc, j'aime beaucoup les albums sans texte. Et puis je trouve important qu'on ait des albums sans texte dans les classes. Celui-ci est d’un accès facile. Le récit est dynamique et drôle. Je me réjouis qu'il soit dans toutes les classes grâce aux nouveaux MER.

 

SF pour www.voielivres.ch : Et dans les classes du cycle 2 ?

 

Marie Béguin : Pour moi, il est très important de continuer à lire des albums au cycle 2, et au cycle 3 aussi, d’ailleurs. Néanmoins, je choisirais de mettre en lumière ici d’autres livres.

Je serais aussi heureuse que dans toutes les classes de 7-8e on ait les quatre (bientôt cinq) volumes Feuilletons de la mythologie de Murielle Szac. Je pense que ces livres se prêtent bien à des lectures ritualisées à haute voix, prise en charge par l’enseignant ou préparées par les élèves. Chaque épisode ne dure que 5-6 minutes de lecture et a été rédigé pour bien se prêter à cette mise en voix. Ce sont des feuilletons au sens qu’avait le mot au XIXe, c’est-à-dire qu’ils sont découpés avec un fort effet cliffhanger. Cela a pour conséquence que l’intérêt des élèves est maintenu tout au long des cent épisodes que comprend un feuilleton et cela nourrit leur gout pour les récits fondateurs.

Je choisirais, comme coup de cœur récent, un petit livre que je viens de découvrir. C’est un texte qui se situe à mi-chemin entre poésie et théâtre. Il s’agit de Spaghetti Rouge à lèvres de Fabien Arca. C’est du théâtre, car l’auteur est un dramaturge et il a conçu son texte pour être mis en scène sous forme de monologue mais c’est aussi de la poésie car l’auteur a aussi travaillé la mise en page de son texte comme des calligrammes. On a une forme de poésie graphique qui sert le propos du livre. C’est l’histoire assez simple d’un enfant qui perd l’appétit car sa mère, océanographe, est partie en mission. C’est un texte intéressant à plusieurs titres. C’est un ouvrage qui appartient à la catégorie que j’appelle les « livres Kirikou » : des livres « petit mais malin », dont la lecture peut se faire très rapidement mais avec des thématiques fortes et une vraie recherche sur la langue. De plus, je trouve important que des ouvrages de théâtre et de la poésie trouvent place dans les classes. Ce petit livre réunit donc plusieurs qualités : il est mince, il est bien écrit, c’est du théâtre et en même temps de la poésie graphique.

 

Un grand merci à Marie Béguin et à Claire Detcheverry pour cet entretien !

 

Chronique publiée le 21 février 2023

Par Marie Béguin, Chargée d’enseignement à la HEP Vaud (marie.beguin@hepl.ch) et Sonya Florey, Professeure ordinaire à la HEP Vaud (sonya.florey@hepl.ch).

 

Liste des ouvrages de littérature de jeunesse cités :

  • Maurice Sendak (1963). Max et les maximonstres. Harper & Row (L’école des loisirs pour l’édition francophone la plus récente).
  • Leo Lionni (1970). Petit bleu et petit jaune. L’école des loisirs.
  • Walid Serageldine (2021). Le voisin. La joie de lire.
  • Murielle Szac (2006). Le feuilleton d’Hermès. La mythologie grecque en 100 épisode Bayard.
  • Murielle Szac (2011). Le feuilleton de Thésée. La mythologie grecque en 100 épisodes.
  • Murielle Szac (2015). Le feuilleton d’Ulysse. La mythologie grecque en 100 épisodes.
  • Fabien Arca (2022). Spaghetti Rouge à lèvres. Editions Espaces 34.