Lire du Flore Vesco, ça décape et ça décoiffe!
Une connexion, la caméra qui s’enclenche. Tiens, un visage arborant un sourire immense. Et une voix si enjouée. J’ai rencontré par visioconférence Flore Vesco pour la première fois alors que son dernier roman, De Délicieux enfants, venait tout juste de paraitre. L’ « autrice jeunesse pas tout à fait adulte », comme elle se définit elle-même, m’a accordé un peu de son temps pour me parler de sa perception de la littérature jeunesse, de ses inspirations et du regard qu’elle porte sur ses propres textes. Son écriture puissante et évocatrice saisit par une captivante complexité. Quant à son humour, il est aussi fin qu’étourdissant. Le·a lecteur·rice ne peut être que transporté·e dans les univers étonnants et fantastiques, en tournant les pages. En bref, lire du Flore Vesco, ça décape et ça décoiffe ! Cette chronique vous fait découvrir ses œuvres à travers l’entretien que nous avons eu.
Difficile d’en faire une sélection resserrée, car tous les romans valent la peine d’être lus. Le potentiel didactique de certains d’entre eux a guidé mon choix pour la présente chronique. Il se trouve que Flore Vesco a elle-même été enseignante et qu’elle intervient régulièrement dans les classes de collège et de gymnase pour être au contact de son jeune lectorat.
Ainsi, nous avons d’abord et très naturellement entamé l’échange autour de son premier roman De Cape et de Mots, dans lequel Serine, une jeune demoiselle de compagnie, doit défier les manigances des courtisanes et du secrétaire du roi les plus cocasses. Métamorphoses, il y aura, afin de délier les langues et de désarmer d’un coup de palabres les adversaires malveillants. Au cours de cet entretien, je lui demande également de me parler de l’adaptation du texte en bande dessinée, par le couple Kerascoët que j’ai trouvée absolument incroyable.
De Cape et de Mots, de Flore Vesco. Couverture de Charlotte Gastaut. © Didier Jeunesse. Paris, 2015.
De Cape et de Mots, Flore Vesco et Kerascoët © Dargaud, 2022
Puis, des intrigues de cours à la Dumas, nous glissons vers l’imaginaire des contes que l’autrice aime revisiter à sa façon, en donnant une voix et un destin à des héroïnes modernes.
Flore Vesco publie entre 2019 et 2024 trois romans qui forment un triptyque et qui reprennent respectivement l’histoire du joueur de flûte de Hamelin, de la Princesse au petit pois et du Petit Poucet et en livrent une version souvent engagée. Des contes originaux, elle n’en garde parfois que la trame et met en scène un récit parallèle. Ainsi L’Estrange malaventure de Mirella (2019) nous transporte dans un Moyen-Âge aussi crasseux que drôle où les pires rats sont plus humains qu’animaux. L’intrigue du roman D’Or et d’Oreillers (2022) et de sa version BD magistralement illustrée par Mayalen Goust (2024) repose sur une ambiance très XIXe siècle à la Jane Austen et on apprend que les nuits de princesses ne sont pas si tendres qu’elles en ont l’air, petits pois ou pas. Enfin, De Délicieux enfants (2024) dévoile une cruauté tapie parfois là où l’on s’y attend le moins. À chaque œuvre, son univers porté par un travail minutieux de la langue.
L'Estrange malaventure de Mirella, de Flore Vesco © L'École des Loisirs, 2019
D’Or et d’Oreillers, Flore Vesco © L’École des Loisirs, 2021
D’Or et d’Oreillers, Flore Vesco, illustré par Mayalen Goust © Rue de Sèvres, 2024
De Délicieux enfants, Flore Vesco © L’École des Loisirs, 2024
Une magicienne des mots
Flore Vesco est un peu magicienne. Partout et pour tout, elle joue la carte de la subtilité et du mystère, à commencer par son nom de plume qui fait référence à des « trucs très proches » de l’autrice et qui, selon elle, est très « joli du point de vue sonore ». Son secret ? Les mots. Qu’ils soient simples ou savants, inconnus ou issus d’une autre époque, traficotés, réassemblés, ils sont dotés de pouvoirs magiques. Dans chacune de ses œuvres, l’autrice transforme la langue pour la sublimer et la moderniser. Ainsi, on découvre dans De Cape et de Mots qu’aristolote, tartiboulote, filipendule et ispaghul sont des plantes, et dans L’Estrange malaventure de Mirella que « parlader comme au temps jadis, c’est aisé ». Écrire en ancien français grâce aux conseils Flore Vesco, c’est doncque bougrement et incrédibilement moins ardu que pensé ! D’ailleurs, je vous conseille vivement de jeter un œil aux prologues et aux lexiques proposés en fin de romans.
Cette habileté à manipuler la langue lui vaut ainsi plusieurs distinctions littéraires dont la nomination au Prix des Sorcières en 2016 pour De Cape et de Mots, prix qu’elle remporte cette fois en 2022 pour son roman D’Or et d’Oreillers. Une magicienne, je vous le dis !
De Cape et de Mots, Flore Vesco et Kerascoët © Dargaud, 2022
La littérature jeunesse, "c'est pour quel âge?"
Les thématiques sociétales ou sociales les plus féroces ne font pas peur à Flore Vesco. Au contraire, elle les aborde avec finesse et offre à son lectorat une possibilité de les explorer par la voie esthétique et poétique grâce à un agencement lexical recherché. Ce qui m’amène à me demander si ses romans sont uniquement dédiés à la jeunesse. Flore Vesco m’avoue : « Sur les salons du livre, quand je dédicace, la première question que n’importe quel adulte me pose, c’est C’est pour quel âge ? C’est jamais Ça parle de quoi ? ou C’est quel univers ? » Elle ajoute : « je défends beaucoup une espèce de littérature jeunesse à partir du moment où le roman n’est plus illustré et que c’est un lectorat qui sait lire, qui ne déchiffre pas. Je défends qu’on peut lire à tout âge ». Les frontières ne sont pas hermétiques. En effet, l’autrice explique que même si certains de ses univers ont été considérés comme très enfantins, elle aime « évoquer des réalités qui parlent à des ados ou des grands ados », sans pour autant être « calibrée » sur la question de l’âge, malgré les contraintes éditoriales.
L’autrice avoue cependant que le défi pour ses lecteur·rice·s est souvent d’ordre lexical : « énormément d’adultes me disent que le vocabulaire est une barrière. Ils lisent mes phrases, mais ne comprennent pas forcément le mot » Bon… Flore, soyons honnêtes, tartiboulote ça reste tout de même très obscur, non ? Non, me dit-elle, l’idée que les mots puissent résister à la compréhension « n’est pas un obstacle ». Il s’agirait davantage d’une construction du sens à partir d’éléments explicites et implicites du texte, que de compréhension lexicale pure (De Croix, in Brillant Rannou et al., 2020; Dufays et al., 2015).
Flore Vesco aime penser qu’il existe peut-être deux types de lecteur·rice·s. D’une part, il y aurait celles et ceux qui « bloquent » et qui « ne comprennent pas le mot, qui ont une espèce de masque sous les yeux. Le mot, psychologiquement, les renvoie à un sentiment, je pense, d’imposture, de faillite scolaire ». Elle soulève leur besoin de comprendre le sens du mot et le souci de sa représentation visuelle pour ce type de lecteur·rice·s. J’apprends alors que Flore Vesco n’est pas « très visuelle » dans sa manière de lire : « Je ne me représente pas vraiment les images, je contourne le mot que je ne comprends pas ». Pour l’autrice il y a donc, d’autre part, « de petits lecteurs très jeunes qui carburent, qui contournent les mots ! Ce genre de lecteurs ne réagit pas émotionnellement au fait de ne pas tout comprendre dans un livre. C’est ça qui est magique ». Les thématiques telles que les inégalités sociales, l’éveil à la sexualité, la sensualité ou encore l’infanticide font partie des sujets que Flore Vesco empoigne avec intelligence. Quant aux éléments qui pourraient heurter la sensibilité des « trop » jeunes à la lecture de D’Or et d’Oreillers ou De Délicieux enfants, Flore Vesco ne s’en inquiète pas : « je me dis que le cerveau plastique fera son travail pour bloquer certaines images, s’ils ne sont pas encore capables de les voir ».
Cette invitation à lire avec une âme d’enfant et des yeux d’adulte me pousse alors à interroger l’autrice sur les raisons qui l’ont menée à écrire pour la littérature jeunesse. Flore Vesco grandit à Montreuil, où se tient chaque année un Salon du livre et de la presse jeunesse, un incontournable ! Elle évoque alors son passé de lycéenne : « j’ai dû arrêter de lire de la littérature jeunesse vers le lycée, car mes profs n’arrêtaient pas de nous dire ‘lisez des classiques, lisez des classiques’. Mais après le bac, je m’y suis remise ». Elle mentionne également sa culture d’étudiante en lettres et le poids qu’un dénommé Victor et qu’un Charles auraient posé sur ses épaules : « En jeunesse, puisque Victor Hugo n’est plus là, je peux me permettre de mettre de petites formulettes qui riment, des alexandrins. Et je n’ai pas le sentiment que Baudelaire va m’en vouloir. J’ai une certaine liberté, parce que je ne suis pas dans le cadre des adultes ». Et d’ajouter : « Il y a une sorte de plasticité ; on peut se permettre de tout faire ! »
Elle ne s’oppose pas pour autant aux textes classiques, au contraire, elle les considère comme « une source d’inspiration et de plaisir » qui ont forgé son goût. Flore Vesco explique avoir puisé dans ses lectures de jeunesse qui se passent dans le XVIIe ou le XVIIIe et s’être laissée inspirer par le roman Complots à Versailles de Anne Jay pour imaginer les aventures de Serine : « De Cape et de Mots est écrit à la fois en référence et en résistance à ces types d’influences. »
La romancière profite précisément de cette plasticité littéraire pour créer et mettre en lumière des « héroïnes et des héros qui sont jeunes, qui vont vivre une première histoire d’amour, une première aventure, une première manière de trouver leur place dans le monde ; de découvrir leur pouvoir d’aider les gens ». C’est que Flore Vesco aime revenir à « cette période des premières fois ». Elle fait la part belle à la thématique de l’initiation, fil rouge de ses deux romans De Cape et de Mots et D’Or et d’Oreillers, extraordinairement réinterprétés en bande dessinée.
Des héroïnes modernes en images
Flore Vesco remarque qu’actuellement, en librairie, la BD et les mangas ont le vent en poupe. Cela tombe bien, car dans les rayons BD, il est facile de dénicher De Cape et de Mots, illustrée par le couple Keraskoët et D’Or et d’Oreillers, revisitée par Mayalen Goust. Flore Vesco note que l’ère est aux adaptations : « Je trouve ça cool parce que la BD est une illustration de l’histoire. »
Je suis très curieuse de connaitre la genèse des deux projets d’adaptations et aimerais savoir comment la version BD de De Cape et de Mots a vu le jour. L’autrice m’explique qu’un coup de fil est un jour tombé du ciel : « Pauline Mermet, l’éditrice de BD chez Dargaud m’a demandé de dresser une liste d’illustrateurs ou d’illustratrices potentielles, vivants ou morts, que je verrais pour illustrer mon roman. C’était très drôle ! » Flore Vesco met donc en premier choix le nom du duo Kerascoët, formé par Marie Pommepuy et Sébastien Cosset, illustrateur·rice de la BD Beauté. Elle raconte : « Je trouvais que Beauté ressemblait énormément à De Cape et de Mots, dans ce côté conte. Ça allait très bien ensemble. » En tant que co-auteur·rice·s, Flore Vesco et le couple Kerascoët planchent ensemble sur le scénario ; toute la partie visuelle est confiée à Keraskoët. L’autrice se laisse volontiers surprendre par les illustrations des deux artistes : « J’ai découvert leur reine et je me suis dit, oui, très bien, c’est la leur ! Dans le roman elle est présentée comme très belle et dans la BD, elle est vraiment caricaturée. »
Flore Vesco s’est d’abord reposée sur l’image. Elle remarque toutefois qu’il faut « réinjecter du texte », travailler son découpage, faire en sorte qu’il corresponde à la chronologie du livre. Par exemple, elle m’explique que pour ses romans, elle opte souvent pour un point de vue omniscient : « On sait toujours ce qui se passe dans la tête d’un personnage, puis d’un autre ; je shifte d’un paragraphe à l’autre. Et ça, tu ne peux pas le rendre en BD, c’est terrible ! » Aussi, doit-elle davantage travailler ces modifications pour un résultat optimal en BD. Son truc à elle, le schéma narratif : « je vois assez bien les enchainements, ce qu’on peut enlever sans que ça ne change l’histoire. »
De Cape et de Mots, Flore Vesco et Kerascoët © Dargaud, 2022
Après le succès en 2022 de cette première adaptation, parait en juillet 2024 celle du roman D’Or et d’Oreillers, initiée par la maison d’édition Rue de Sèvres. Cette fois, Flore Vesco reste davantage en retrait : « Le projet s’est réalisé entièrement sans moi ». Il n’empêche que le résultat est absolument éblouissant. Et Flore Vesco d’ajouter : « C’est une autre manière de faire vivre un roman. La bande dessinée donne une autre valeur littéraire au roman. » Je ne peux qu’abonder dans son sens.
D’Or et d’Oreillers, Flore Vesco, illustré par Mayalen Goust © Rue de Sèvres, 2024
Serine, Mirella ou encore Sedima… Une question me titille : pourquoi des protagonistes essentiellement féminines ? Est-ce dans l’air du temps ? Devrait-on déceler un message militantiste derrière ce choix ? Flore Vesco avoue être plus à l’aise avec les personnages féminins : « C’est vraiment un choix instinctif, parce qu’identitaire ». Une exception peut-être pour ce qui est du personnage du fou, dans De Cape et de Mots : « Des fous, en littérature, sont des hommes. Et c’est quand même toujours des hommes qui ont la parole. Donc je m’étais dit que je voulais une bouffonne, une folle, un personnage féminin qui embrasse le pouvoir de la parole. Le fou a le pouvoir par les mots. Il ne lance pas des boules de feu, il ne peut pas voler. Par contre, lorsqu’il dit une phrase, il a le pouvoir de sauver quelqu’un. »
Mais alors, Flore Vesco, ne serait-elle aussi un peu notre folle à nous, en littérature jeunesse ? Je me le demande.
De Cape et de Mots, Flore Vesco et Kerascoët © Dargaud, 2022
… souplesse et nuance
À la question de savoir si ses textes sont revendicateurs ou engagés, Flore Vesco me répond qu’elle souhaite privilégier « l’immersion dans l’histoire au message ». Finalement, ce que l’autrice souhaite avant tout, c’est de la souplesse, « beaucoup de souplesse. Ce sont ces messages d’ouverture qu’il faudrait plutôt valoriser. Quelque chose de nuancé. »
Je remercie chaleureusement Flore Vesco pour ce moment fabuleux, passionnant et si esperlunesque!
Dossiers pédagogiques
Mentionnés dans le Guide de la littérature ado des frères Lesvêques et dans l’anthologie Écrire comme une abeille de Clémentine Beauvais, les romans de Flore Vesco ne passent aujourd’hui plus inaperçus. Très appréciés des enseignant·e·s, ils sont déjà tombés dans les mains de bien des élèves. Leur dimension intertextuelle ainsi que leurs références au récit d’aventures, aux contes, à la romance et à la poésie, entre autres, leur valent d’être souvent abordés en classe. D’où les nombreuses propositions didactiques, dont une sélection que vous trouverez ci-dessous.
De Cape et de Mots: https://www.didier-jeunesse.com/livre/de-cape-et-de-mots-9782278059522/
D’Or et d’Oreillers: https://www.bayardeducation.com/wp-content/uploads/2020/09/JBQN_Fiche-pedagoDef_concoursJE_20-21.pdf
De Cape et de Mots et D’Or et d’Oreillers: https://www.livre-bourgognefranchecomte.fr/sites/livre-bourgognefranchecomte/files/2024-04/20231010-lire-flore-vesco-DEF.pdf
Pour aller plus loin
Suivre Flore Vesco à travers son site internet, ludique et surprenant, qui s’est construit comme « un atelier d’écriture » et qui ne ressemble surtout pas à « une carte de visite sérieuse » : https://www.florevesco.com/
Visionner une bande-annonce musicale qui présente la bande dessinée De Cape et de Mots : https://www.youtube.com/watch?v=kO0NvNZhQRo
Découvrir D’Or et d’Oreillers grâce à une interview dans laquelle Flore Vesco nous explique que le conte est un genre féminin : https://www.youtube.com/watch?v=e8qRs88eFhc
Écouter une émission autour du roman De délicieux enfants : https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/livres-et-jeunesse/de-delicieux-enfants-de-flore-vesco_6513869.html
S’intéresser aux versions mises en voix des romans de Flore Vesco sur le site de la Bibliothèque Sonore Romande : https://www.bibliothequesonore.ch/rechercheBSR/auteur/Vesco%2C%20Flore
Lire les autres romans de Flore Vesco. L’autrice ne s’est pas contentée de revisiter certains de nos contes populaires. Elle invite ses lectrices et ses lecteurs à jouer les détectives et à suivre les aventures rocambolesques de Louis Pasteur et de Gustave Eiffel, dans leur prime jeunesse ! Cela en vaut le détour.
- Louis Pasteur contre les loups-garous: https://www.didier-jeunesse.com/livre/louis-pasteur-contre-les-loups-garous-9782278085552/
- Gustave Eiffel et les âmes de fer : https://www.didier-jeunesse.com/livre/gustave-eiffel-et-les-ames-de-fer-9782278089918/
Bibliographie
Brillant Rannou, N., Le Goff, F., Fourtanier, M.-J., & Massol, J.-F. (dir.). (2020). Un dictionnaire de didactique de la littérature. Honoré Champion.
Dufays, J.-L., Gemenne, L., Ledur, D. (2015). Pour une lecture littéraire : Histoire, théories, pistes pour la classe (3e édition revue et actualisée). De Boeck.
Chronique rédigée par Elsa Nguyen, Assistante-doctorante à la HEP Vaud (elsa.nguyen@hepl.ch)