Les pop-up d’Annette Tamarkin : des déploiements de papier aux effets ludiques et pédagogiques

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Dans le cadre de son laboratoire, Bibliomedia propose diverses animations autour du livre. Il y a quelques temps, j’ai eu l’occasion d’assister à un atelier pour jeunes enfants visant la création d’un livre pop-up (lien Bibliomedia).

C’est ainsi que j’ai découvert le travail d’Annette Tamarkin, illustratrice belge ayant créé plusieurs livres de ce type. Au début de l’atelier, Annette Tamarkin a présenté certains de ses ouvrages. Peu habituée aux livres destinés à un public si jeune, j’ai tout de suite été séduite par la qualité graphique et la cohérence de son travail. Suite à la présentation, l'illustratrice a proposé à la douzaine d’enfants présents de fabriquer deux doubles pages de figures pop-up à partir de modèles (poisson et papillon) pour finalement s’essayer à inventer eux-mêmes une figure. Cette animation a permis aux enfants de se familiariser avec un modèle de livre atypique. En observant les enfants, captivés par la présentation des ouvrages et très motivés lors de l’activité de production d’une figure, il m’a semblé évident que le pop-up possédait un caractère ludique à même de stimuler leur intérêt. Qu’en était-il de ses possibles effets pédagogiques ? Le mode de lecture que le pop-up induit permet-il de développer certaines compétences spécifiques chez l’enfant ? Si oui, lesquelles ?

Avant de se pencher sur ces questions, il me paraît opportun de présenter le travail d’Annette Tamarkin pour, non seulement découvrir son œuvre, mais également pour présenter un certain nombre de techniques qui définissent l’art du pop-up et instiguent un rapport au livre singulier.

A l’image des figures à réaliser, les livres de l’artiste pop-up sont colorés, donnent à voir des figures composées de formes simples qui représentent des objets, des végétaux ou encore des animaux bien connus des enfants. Ces personnages au graphisme épuré – qu’ils appartiennent au monde de l’école ou à celui de la nature – sont entourés de petites gommettes en carton collées : cœurs, étoiles et fleurs bigarrés apportent ainsi une certaine forme de relief aux compositions.

Arrêtons-nous sur certains ouvrages dont Mes jouets, au sous-titre injonctif Cherche la petite fleur, qui propose aux enfants de trouver la fleur jaune se cachant sur chaque double page. Cette fleur est saillante puisqu’il s’agit d’une gommette collée. On peut donc en sentir la matérialité en passant les doigts sur la page. Dans certains cas, la fleur est visible directement sur la double page. Elle est alors associée à un élément de l’image qu’elle remplace (elle sert de phare à une voiture) ou dans un endroit improbable (elle sert de boucle d’oreille à un mouton). Parfois, elle est cachée sous un, voire plusieurs rabats superposés. Une autre fois, elle est diposée à l’intérieur d’un bateau qui se déploie, dissimulée par les pans du papier composant celui-ci. Le lecteur doit alors faire basculer le livre pour observer l’intérieur du bateau et y voir la fleur.

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A. Tamarkin (2012), Mes jouetsCherche la petite fleur, Paris : Editions des Grandes Personnes. ©

Tout blanc et Tout noir, deux créations qui jouent sur l’opposition du blanc ou du noir à la couleur présentent des types d’animations relativement différentes. Tout blanc est principalement constitué de figures géométriques qui se déploient hors du livre dans un contraste blanc-couleur. Plus éloigné de l’univers enfantin, ce livre propose des animations architecturales à même de séduire les plus grands.

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A. Tamarkin (2010), Tout blanc, Paris : Editions des Grandes Personnes. ©

Tout noir, de son côté, se compose de figures noires pouvant être assimilés à des silhouettes. L’utilisation des rabats permet de percevoir la part colorée de la figure, lui donnant ainsi une nouvelle dimension.

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A. Tamarkin (2010), Tout noir, Paris : Editions des Grandes Personnes. ©

Deux ouvrages se consacrent à la thématique de la nature et explorent des espaces différents, la forêt et le jardin. Dans la forêt, il y a … met en scène des figures qui se déploient hors du livre, vers le haut de la page tout en dévoilant diverses créatures dissmulées sous des rabats.

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A. Tamarkin (2013), Dans la forêt, il y a…, Paris : Editions des Grandes Personnes. ©

Dans mon jardin, il y a  propose une double perspective sur les objets représentés qui varie selon le fait que le rabat soit relevé ou ne le soit pas. Lorsque le rabat est relevé, l’objet prend une nouvelle couleur ou dévoile un petit insecte caché (une coccinelle dissimulée dans un pétale ou des papillons cachés dans une tulipe).

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A. Tamarkin (2011), Dans le jardin, il y a…, Paris : Editions des Grandes Personnes. ©

Ce livre présente aussi une animation avec un système de tirette qui permet de simuler la croissance de tulipes. Lorsque le lecteur fait coulisser les fleurs vers le haut de la page, les tiges de la tulipe s’allongent.

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A. Tamarkin (2011), Dans le jardin, il y a…, Paris : Editions des Grandes Personnes. ©

Finalement Ma petite rentrée, réalisée dans un grand format, concilie art du pop-up et activités pédagogiques. Les enfants peuvent s’essayer à compter, dire l’heure à l'aide d'aiguilles d’horloge qui tournent, jouer au memory ou encore associer des couleurs à des éléments connus de manière ludique.

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A. Tamarkin (2015), Ma petite rentrée, Paris : Editions des Grandes Personnes. ©

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A. Tamarkin (2015), Ma petite rentrée, Paris : Editions des Grandes Personnes. ©

Ce passage en revue permet non seulement de mieux cerner le travail d’Annette Tamarkin, mais également d’entrevoir que le rapport du lecteur au livre est redéfini par le pop-up. L’espace du livre n’est plus confiné à la surface plane de la page, mais explose hors de celle-ci en se déployant en hauteur (les tulipes avec la tirette) ou en profondeur (les figures géométriques de Tout blanc ou le système de rabats). En délivrant le livre de son format classique, le pop-up invite le jeune lecteur à se saisir différemment d’un livre pour le toucher, le manipuler, le faire se déployer. C’est par une diversité de gestes que finalement le lecteur s’approprie le livre, puisque cette lecture passe principalement par l’exploration de sa matérialité.

Le pop-up, livre-objet par excellence, fait découvrir au lecteur des mécanismes dont il s’agit de comprendre le fonctionnement pour pouvoir les activer. Il suscite donc une réflexion sur la manière dont est construit le livre. Le lecteur se fait alors ingénieur en disséquant la machinerie interne du livre et le devient pleinement quant il se lance dans la confection d’un pop-up. Certaines subtilités, mais également toute la complexité de l’art du pop up, se révèlent à lui : il n’est pas toujours évident d’anticiper le résultat qui découleront d’actes de découpage, de pliage et de collage. Ce n’est, effectivement, qu’au moment où l’ingénieur en herbe déploie sa double page qu’il peut constater la réussite ou l’échec de son entreprise.

Si le pop-up invite à une lecture qui pense la mécanique du livre, ce n’est pas uniquement pour susciter une réflexion, mais également pour proposer une manière d’interagir avec le livre-objet : a) Une tirette est coincée. Le lecteur tente de la faire coulisser à tout prix en tirant de plus en plus fort : il la déchire. b) Un rabat dissimule une image. Le lecteur peu attentif à la manière dont est fixé le rabat, cherche à la déployer près de l’endroit où il est collé. Le rabat ne s’ouvre pas, le lecteur persiste : il arrache la pièce du livre.

Ces deux exemples montrent que le pop-up met en place une pédagogie de la lecture exigeant du lecteur qu’il se montre observateur, délicat, voire patient avec le livre qui se trouve entre ses mains. D’une première lecture durant laquelle le lecteur expérimente les différents mécanismes du livre à des relectures qui permettent au lecteur de reproduire des gestes spécifiques à chaque mécanisme, le pop-up exige toujours une manipulation pleine de précautions sous peine de s’abîmer trop vite.

Au-delà da sa fonction ludique évidente, le pop-up rend possible l'apprentissage de la valeur du livre par sa manipulation attentive.

Par Vanessa Depallens, assistante à la HEP Vaud,vanessa.depallens@hepl.ch

En bonus : pour vous plonger dans le monde d’Annette Tamarkin tout en douceur… (cliquer ici ).

Chronique publiée le 12.09.2016