Du 15 au 29 mars 2025 a eu lieu le Printemps de la Poésie, festival organisé par l’Université de Lausanne sous la direction d’Antonio Rodriguez (professeur associé en section de français à la Faculté des Lettres)

Cette chronique propose un retour sur l’événement organisé à cette occasion par l’Unité d’Enseignement et de Recherche en didactique du Français (HEP Vaud).

Dans l’intention de faire vivre la poésie à leurs élèves, sept enseignantes des établissements primaires de Begnins et Gland ont participé à cette édition. Cent-quarante élèves ont pu expérimenter la mise en voix, en corps ou en sons d’un poème, partager leur performance et fêter la poésie.

Pourquoi mettre en en voix, en corps ou en sons un poème ?

Afin d’aller au-delà d’une simple récitation de poèmes, la mise en voix dans le cadre de ce projet a été pensée de manière à établir des liens avec l’interprétation des élèves. Selon Falardeau (2003), pour comprendre un texte, le lecteur doit réorganiser les informations essentielles du contenu afin d’en dégager un sens global. Pour interpréter, il « ausculte le texte de manière attentive pour explorer les récurrences et déployer un des possibles signifiants » (p.675). Une mise en voix par les élèves permet ainsi de rendre visibles des éléments de sens au-delà d’une reproduction littérale des idées exprimées dans le poème.

Pour favoriser ce travail de compréhension et d’interprétation, un corpus composé principalement de poèmes à trame descriptive (Chartrand, Emery-Bruneau & Sénéchal, 2015) a été proposé aux classes. En effet, bien que les recueils jeunesse soient constitués principalement de poèmes ludiques ou aux trames narratives facilement accessibles, les poèmes à trame descriptive se révèlent plus porteurs. Leur résistance (Tauveron, 1999) nécessite de faire des liens ou des inférences, de se confronter à des expressions imagées ou à un vocabulaire connoté, ou encore à une thématique qui peut donner lieu à des interprétations plurielles.

Voici deux exemples de poèmes présents dans le recueil de textes mis à disposition :

Forêt avec un arbre rouge

Dans ma forêt

au milieu de tous les arbres verts

il y a un unique arbre rouge

Il n'est ni plus grand

ni plus beau - ni plus laid –

non : juste   rouge

Il n'est pas non plus

malade ni en flamme

Simplement

rouge au milieu des verts

Et il est là tranquille

ni modeste ni fier

Il me plaît

Et quand je le croise

je le salue d'un long regard.

Constantin Kaïteris, Joanna Boillat

Quelque part

Je me tais quand le jour se tait,

pas l’oiseau.

Je m’ennuie quand la pluie s’ennuie,

pas l’oiseau.

Je m’arrête quand la cloche sonne,

pas l’oiseau.

Je m’endors quand la nuit est là,

pas l’oiseau.

Mais le matin, je siffle

pour la lune qui part,

le soleil qui se lève tôt.

Ce n’est pas un hasard :

je crois que je suis un oiseau

quelque part.

Carl Norac

Sur un arbre caché, Constantin Kaïteris, Joanna Boillat © Motus, 2018

Poèmes pour mieux rêver ensemble, Carl Norac, illustré par Géraldine Alibeu © Acte Sud Jeunesse, 2021

Comment travailler la mise en voix, en corps ou en sons de poèmes ?

Les enseignantes ont, dans un premier temps, participé à des ateliers dans le but de pouvoir accompagner à leur tour leurs élèves. Les intervenant·e·s qui ont animé ces ateliers sont des actrices et acteurs clés d’une collaboration avec la HEP Vaud existante depuis plusieurs années autour d’événements liés à la poésie, comme le Printemps de la poésie 2024 ou les Salves poétiques 2023 à Morges.

Francine Fallenbacher-Clavien et Valérie Michelet (HEP Valais), ont notamment mis en œuvre un atelier sur la mise en voix et en corps de poèmes. Les enseignantes ont pu les expérimenter par groupes, comme elles le feraient avec les élèves. Elles ont d’abord réfléchi ensemble, annoté le poème, puis ajouté gestes et mouvements à leur performance, pour rendre compte de leur interprétation.

Matthias Urban, comédien et metteur en scène, a proposé un échauffement vocal et physique ainsi que plusieurs activités pour inviter les élèves à apporter des nuances au niveau de l’expressivité. Ces propositions très engageantes ont concrétisé avec succès les enjeux d’une mise en voix.

Youri Rosset, percussionniste, a animé un moment portant sur la mise en sons à l’aide d’instruments de musique et d’objets du quotidien (bol, spatule, etc.), les instruments pouvant être utilisés dans les poèmes avec un rôle d’accompagnement ou de ponctuation. Plusieurs rythmes ont été présentés, ainsi que des effets du silence.

Suite à cet après-midi d’ateliers, les enseignantes ont pu faire vivre la mise en voix, en corps ou en sons de poèmes à leurs élèves.

Par groupes, ils ont à leur tour préparé une performance en lien avec un poème.

Chaque groupe a été filmé dans le but de créer une vidéo regroupant les performances des élèves à diffuser lors du jour de « fête » du Printemps de la Poésie, le 26 mars 2025.

Événement du 26 mars 2025 avec les élèves

L’événement regroupant les cent-quarante élèves a eu lieu à la salle de Fleury à Begnins. Les élèves sont devenus spectateurs et spectatrices de leurs productions.

En se découvrant diffusé·es sur grand écran, les réactions des élèves ont traversé diverses émotions, la fierté finissant par l’emporter. Un concert d’Aurélie Emery, artiste valaisanne qui met en musique des poèmes de l’auteure suisse Corinna Bille, a couronné cette foisonnante journée !

Si cette chronique vous inspire des envies de poésie, ne manquez pas la prochaine invitation au Printemps!

Remerciements

Pour cette édition 2025, je tiens à remercier :

Antonio Rodriguez pour sa confiance,

Patricia Aviolat et Guillaume Strobino, directrice et directeur des établissements primaires de Gland et Begnins pour leur dynamisme et soutien,

Roxane Gagnon et Florence Epars (UER FR) pour leur écoute et soutien,

Valérie Michelet, Francine Fallenbacher-Clavien, Youri Rosset et Matthias Urban, pour une collaboration aussi motivante que fluide,

Carlos Abeijon Martinez et respectivement l’Unité Communication de la HEP Vaud pour l’aide à l’élaboration de la vidéo regroupant les performances d’élèves ainsi que l’After Vidéo,

Anais Chevalier, Britt Haesslein, Laetitia Bochatay, Laure-Anne Coutaz, Marie-Luce Bran, Céline Humbert et Maryline Renouf pour leur engagement dans ce projet et le temps passé à faire découvrir et vivre la poésie à leurs élèves !

Références bibliographiques

Chartrand, S., Emery-Bruneau, J. & Sénéchal, K. (2015). Caractéristiques de 50 genres pour développer les compétences langagières en français. Didactica.

Falardeau, É. (2003). Compréhension et interprétation : deux composantes complémentaires de la lecture littéraire. Revue des sciences de l’éducation, 29(3), 673-694. https://doi.org/10.7202/011409ar

Kaïteris,C. & Boillat, J. (2018). Sur un arbre caché. Motus.

Norac, C. & Alibeu, G. (2017). Poèmes pour mieux rêver ensemble. Actes Sud Junior.

Tauveron C. (1999). Comprendre et interpréter le littéraire à l'école : du texte réticent au texte proliférant. In Grossman, F., Tauveron, C. (dirs.) Repères, recherches en didactique du français langue maternelle, 19, 9-38.

Kelly Moura (kelly.moura@hepl.ch), chargée d’enseignement et doctorante à la HEP Vaud, enseignante au cycle 1.