Raconter la guerre

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E. Beerten, (2015), Nous voulons tous le paradis, Genève : Editions La Joie de lire. ©

Comment résumer cette histoire ? Poser les personnages, d’abord. Deux jeunes gens, Jef et Ward, belges, vivent en Flandre. C’est la guerre… Ils attendent. Comment désigner cette attente d’agir ? J’hésite. Quel verbe choisir ? Comment décrire ces adolescents aux prises avec la guerre ? Ils ne la font pas, pas encore, mais ils veulent en découdre, devenir des héros. En attendant, ils vont à l’école, font de la musique, se chamaillent et tuent le temps. Leur attente est faite de ces gestes futiles qui posent la durée du quotidien. Que voudrait-on faire pour aider un pays occupé ? Quelle ligne de conduite tracer ? Quels choix poser pour s’impliquer dans la vie ? L’attente de ces jeunes gens est faite de ces situations insignifiantes qui adviennent par les mots qui s’échangent. Peut-être, pour résumer cette histoire et lui donner un sens, une orientation, faudrait-il partir des dialogues ? Voilà l’épaisseur du récit ! Cette histoire, c’est la parole, c’est l’échange avec le frère, la sœur, l’amoureuse, le père, la mère, les amis, le curé, les voisins. Chacun de ces personnages entre dans une danse interactionnelle qui détermine progressivement nos héros. Je tiens une piste.

Allons, je me lance ! Deux adolescents attendent et discutent. Beaucoup. Ils discutent, aiment, se disputent, sympathisent, racontent, relatent, se plaignent de l’autorité d’un père, jouent de la musique, se disputent encore sur l’engagement, s’impliquent dans des assemblées, font des serments, sermonnent, écoutent les sermons du curé, se taisent… Et partent en guerre. L’un sera le héros, l’autre le collabo ; l’un sera décoré par l’Armée secrète pour acte de résistance tandis que l’autre sera condamné pour crime de guerre. Voilà leur destin, voilà la téléologie du récit. Comment devient-on, au fil des conversations entre soi, avec les adultes, héros ou paria ?

Els Beerten est auteure de littérature de jeunesse. Son roman, Nous voulons tous le paradis, traduit du néerlandais par Maurice Lomré, est le premier de deux tomes. Il ne raconte pas le spectacle de la guerre, le suspense d’une action héroïque. Il dit la soif d’aventure d’une jeunesse en quête de sens. Il dit l’absolu des idéaux de cette jeunesse, l’idéal de son questionnement sur la mort, l’urgence des confrontations recherchées pour questionner… Les choix posés et les comptes à rendre quand le temps de l’action est accompli ! Aucun jugement n’est posé sur l’embrigadé et son paradis manqué. Les dialogues donnent à lire seulement des questions et des choix, et les voix multiples qui les portent. Reconnaissons-le tout de go : la lecture de ce roman sera difficile pour des adolescents tant courtisés par les séduisantes narrations. Faut-il de l’audace ou du courage pour éditer pareils romans qui font mémoire ! Que dire de plus pour convaincre d’oser lire la guerre et faire œuvre de mémoire dans les classes de langue !

Au moment de conclure, je relis mon titre. Il manque de « peps ». Il dit trop l’activité langagière par laquelle une histoire advient, il manque de séduction, d’incitant à lire. Comment mieux titrer ma chronique ? Comment convaincre de l’urgence de cette histoire sur la guerre et la manipulation, sur la jeunesse et les mensonges de leurs pères, sur la responsabilité et l’implication ? Me vient le titre d’une fable, dont j’ai oublié l’auteur, qui raconte l’histoire d’un jugement rendu par les puissants, puis d’un verdict posé et du sacrifice d’un bouc émissaire. Cette fable raconte comment l’aveu d’un âne pour un crime, mineur, se retournera contre ce dernier, lui qui a cru en toute bonne foi au pardon. J’ai trouvé mon titre. Je conserve la nominalisation, sans verbe, par laquelle je dénouerai : Les jeunes malades de la peste totalitaire.

Par Christophe Ronveaux, maitre d’enseignement et de recherche, GRAFE – Université de Genève