La nuit quand je dors : petit déjeuner avec les Maximonstres à la façon de Ronald Curchod  

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Le livre en mains, un magnifique visuel en pleine page recouvrant
 la 1ère et 4ème de couverture de l’ouvrage nous invite à plonger dans un univers mystérieux et poétique. Plan rapproché sur un chat marchant de nuit sur la branche d’un arbre effeuillé : il fixe son regard hypnotique sur le lecteur comme une étrange invitation à le suivre. Au loin, le hululement d’un hibou...

Au sens graphique, le ton est donné puisque chaque double page du livre représente une scène peinte en pleine page. Ronald Curchod propose une rêverie strictement visuelle de l’histoire : aucun texte ni pagination accompagne les illustrations.

Je suis graphiste, plasticienne, micro-éditrice et j’aime la poésie. Comme chacun ne peut entrer en lecture qu’avec ses références et ses histoires, je vous propose de me suivre.

Voyage dans le livre

La page se tourne, l’objet livre se découvre, nous entrons en scène.

Cette fois-ci, notre hibou apparaît face au lecteur debout et statique sur fond de page blanche. Il nous observe avec le même regard fixe que son compagnon de couverture.

Simultanément, nous découvrons un personnage figuré en ombre chinoise. Il est endormi dans un lit bien modeste installé dans une pièce à large fenêtre donnant sur un paysage désolé. Un déclic, une alerte... il se lève et plonge en courant dans la campagne blafarde.

Il nous emmène sur les versants mystérieux de la mécanique des rêves.

Notre personnage est vif, curieux. Il court, vole, chute, observe, bataille, aspire, goûte...

Le temps d’avaler subrepticement la dernière bouchée du repas d’un géant à forte densité pileuse soit une simple touffe de poils aux allures magiques à effet immédiat. Une barbichette apparaît au menton de notre personnage. Signe d’un nouvel élan, de maturité ?

              barbichette    "La nuit quand je dors" de Ronald Curchod © Rouergue, 2014.

La nuit se joue de tout. Notre barbu se frotte à des architectures et paysages renversants, des sensations climatiques extrêmes.

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 "La nuit quand je dors" de Ronald Curchod © Rouergue, 2014.

Il observe, rencontre à la dérobée renard siégeant dans un tronc d’arbre, homme chauve-souris, femme oiseau, ours blanc couronné, femmes chasseresses. Au fil de sa course, il découvre une femme entourée de son lot de chats à tailles exponentielles, une pieuvre géante «au bras» d’un frêle personnage engoncé dans de magnifiques bouées en forme de canards. Notre personnage s’amuse avec de jolies bouées, les teste, en aspire l’air qui le renforce pour continuer son chemin.

les-bouées"La nuit quand je dors" de Ronald Curchod © Rouergue, 2014.

A la fin, il rencontre une figure énigmatique tenant boutique de phosphorescents agarics.

 le-mycologue"La nuit quand je dors" de Ronald Curchod © Rouergue, 2014 .

Notre personnage avale un champignon phosphorescent. Une transformation s’opère : de noir, il passe au blanc luminescent. Cet aliment magique le ramène à sa réalité. Il retrouve ainsi le chemin de sa maison. Il est maintenant endormi dans son lit. Le jour se lève et ses amis animaux le réveillent en douceur.

Une rencontre

Même si on connaît chacun des animaux représentés dans cette histoire, tous sont peints avec un léger anachronisme dans leur physionomie ou dans leur comportement. Les êtres humains sont également concernés par ces transformations physiques et mentales. Et tous portent le même regard hypnotique face au lecteur. Ils nous renvoient à nous-même et à notre faculté à entrer dans notre imaginaire. Me voici touchée.

Touchée également par l’atmosphère qui se dégage de l’album. Ces ambiances feutrées utilisant une alternance de couleurs mordorées et sépias attirent ma curiosité.

Des rebondissements

Ronald Curchod nous convie à une épopée poétique. A une histoire grand format, attirante et mystérieuse. La technique picturale de l’auteur est en résonance avec ces ambiances singulières.

Nous suivons le cours de l’histoire tout en ajoutant une part supplémentaire et personnelle au récit. Vous savez : celle qui dépend du lecteur. L’image est texte. Notre mémoire autobiographique accompagne l’auteur et son personnage. Une histoire hors des sentiers battus où l’on se perd avec étonnement et plaisir.

J’y vois également une référence, voire un hommage, à Max et les Maximonstres de Maurice Sendak. Prédominance de l’illustration. Economie du texte. On y retrouve le thème de la nuit, du rêve, d’un fluet personnage partant à la rencontre de figures extraordinaires.

A la lecture de cet ouvrage, je ne peux également m’empêcher de penser à l’artiste surréaliste suisse Meret Oppenheim. La scène du repas chez le géant pileux me renvoie à son objet Le petit déjeuner en fourrure datant de 1936. Tout au long du livre, nous sommes face à des rencontres et à des paysages inattendus, des assemblages hétérogènes. La démarche artistique de Meret Oppenheim n’en est pas éloignée.

Un coda

En parcourant cette histoire, nous devenons de somptueux noctambules pendus au fil de la balade de notre personnage principal. Son parcours expérimental, nous renvoie également à nos souvenirs à nos peurs et craintes d’enfants mais aussi à l’envie de découverte et d’expérience. Un album pour petits et grands qui prend au ventre.

Pascale Lhomme-Rolot, pascale.lhomme@bluewin.ch

Chronique publiée le 14.03.2106